En ce dixième anniversaire des événements du 11 septembre, le Centre de Recherche sur la Mondialisation (CRM) a cru bon d’avertir les Canadiens que leurs voisins américains ont été victimes lors des attaques du 11 septembre, non pas d’une attaque imprévue organisée par un ennemi islamiste international, mais bien d’un « coup d’état ».
À défaut d’entrer dans les détails du pourquoi et du comment, n’ayant pu être détaillés dans une période aussi courte, les conférenciers ont invité leur auditoire à considérer le tournant de la politique étrangère américaine durant cette dernière décennie : « s’agit-il encore bel et bien d’une nation démocratique gouvernée par, et pour, un peuple souverain ? » demandaient-ils. Michel Chossudovsky, professeur d’économie à l’Université d’Ottawa et président du CRM, a d’abord dénoncé la GWOT, ou Global War on Terrorism, comme un outil de manipulation médiatique visant à justifier le caractère impérialiste des interventions militaires, politiques et économiques des États-Unis au Moyen-Orient. Les journalistes Wayne Madsen et Mahdi Darius Nazemroaya (lequel revenait tout juste de Tripoli où il couvrait l’assaut de l’OTAN la semaine dernière) ont quant à eux présenté les résultats de leurs recherches, qui corroboraient l’interprétation du professeur Chossudovsky en mettant en évidence l’absence totale d’investigation sur le terrain des médias de masse ; puisque, selon eux, ceux-ci se bornent à répéter la propagande, la version « officielle » des politiciens, de crainte de perdre leur emploi, voire pire. Enfin, l’ex-membre du Congrès Cynthia McKinney a de nouveau accusé l’administration Bush de crime contre les États-Unis pour avoir co-organisé les attaques du 11 septembre en collaboration avec les réseaux terroristes, puis pour avoir classifié les documents permettant de prouver leur culpabilité, un engagement de confidentialité que semble respecter le président Obama, lequel (malgré la promesse faite aux familles des victimes durant sa campagne électorale) n’a toujours pas divulgué le dernier chapitre du Joint Congressional Inquiry, le rapport officiel de la commission d’enquête sur les attaques du 11 septembre.
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il s’agit d’une interprétation qui est loin d’être celle de tous les professeurs d’université, journalistes ou politiciens. À McGill, le professeur de sciences politiques Stephen Saideman a réagi vivement contre les conclusions du CRM : « Quiconque affirmerait encore qu’Oussama ben Laden et Al-Qaida ont travaillé en collaboration avec des membres du gouvernement américain et de la CIA avant et depuis 2001 est en décalage total par rapport à la réalité ». On ne peut pas, selon lui, qualifier la politique étrangère américaine d’«impérialiste » sans donner à ce terme une définition très vague qui finirait par englober la politique étrangère de tous les pays qui cherchent à agrandir leur zone d’influence. D’après sa définition, l’impérialisme consiste à annexer des régions étrangères à son territoire sous forme de colonies directement gouvernées par la mère-patrie, ce que les États-Unis ne font pas strictu sensu, bien qu’ils y aient effectivement établi des « gouvernements de transition ».
Depuis l’avènement du politiquement correct, lequel remonte au tournant des années 80, une règle non-écrite oblige en effet le monde académique à soumettre de plus en plus son discours à des exigences de neutralité, ce qui crée parfois des écarts énormes entre la recherche universitaire et le monde extérieur. Comme l’a résumé le chroniqueur du Village Voice, Richard Goldstein, en 1991 en se livrant à un autoportrait politically correct : « Un homme un peu gras, court sur pattes et presque chauve comme moi peut désormais parler de lui, sans vraiment plaisanter, comme une personne de poids, dotée d’une stature différente, et dont la capillarité est en péril. » En va-t-il de même pour l’interprétation des faits historiques récents qui rejoignent l’actualité ? Jusqu’à quel point un professeur peut-il s’éloigner de la version officielle sans risquer de compromettre sa carrière et sa réputation ?
Or, puisqu’il s’agit de commémorer le dixième anniversaire des événements du 11 septembre, autant soulever ouvertement la question de l’interprétation historique. Une chose est sure : l’effondrement des tours jumelles a bel et bien fourni le prétexte à de nombreuses violations des droits de l’Homme et des droits à la vie privée, comme en témoignent Guantanamo et le USA PATRIOT Act qui permet au gouvernement américain de détenir sans limite et sans preuve toute personne suspectée de terrorisme depuis 2006. Ce qui est sûr également, c’est que ces événements ont mené à une série de guerres dans lesquelles le Canada est lui-aussi impliqué, et dont nous ne sommes pas près de voir la fin. Pour toutes ces raisons, ne devrions-nous pas adopter une distance critique vis-à-vis de la version officielle de l’administration à laquelle nous devons la guerre en Afghanistan, la guerre en Irak, Guantanamo et le USA PATRIOT Act ? Si tout ce qui est à découvrir a déjà été découvert, pourquoi refuser d’ouvrir une nouvelle enquête indépendante sur des événements qui ont pourtant marqué une nette rupture entre le monde « avant » et « après » 9/11 ? Étant donné qu’une telle commission est loin d’être instaurée, le dévoilement des vingt-huit pages classifiées du rapport existant aurait certainement constitué un meilleur moyen de commémorer les 2977 victimes des attentats que la minute de silence observée à New York ce dimanche à 8h46 du matin.