En février 2011, un article anonyme publié sur Internet décrit les difficultés d’un étudiant d’Harvard durant ses années d’université : « je résumerai ma vie étudiante comme ça : un diplôme d’Harvard et six tentatives de suicide ». Difficultés mentales, physiologiques et mêmes suicidaires. Après cet article, des centaines d’étudiants commentèrent à leur tour et partagèrent leurs expériences. Le point commun de tous ces étudiants ? L’incapacité de l’université à répondre à leurs angoisses et problèmes, l’accès aux soins pour les faiblesses mentales étant très réduit. Les étudiants des universités les plus réputées ne sont pas épargnés par ces phénomènes.
Ces témoignages reflètent l’amplitude du problème de santé mentale parmi les étudiants. Est-ce que les bonnes universités sont plus enclines à abriter des jeunes qui sont instables mentalement dû à la sélection qui ne retient que les meilleurs élèves, et donc peut-être les jeunes les plus stressés ?
Comment ce phénomène est-il traité dans notre université ?
Ce phénomène n’existe pas seulement ailleurs, mais est tout à fait présent sur le campus. Le 22 novembre 2011 Le Délit (Ce que l’administration veut, McGill veut,Volume 101, numéro 11) vous parlait du renvoi du professeur Norman Cornett de McGill qui avait une vision alternative de l’éducation. Il avait développé celle-ci après la crise nerveuse d’un de ses étudiants et justifiait sa démarche par ses mots : « Comment peuvent-ils s’épanouir … s’ils en viennent à prendre la boulimie intellectuelle pour de l’enseignement véritable ? ». Pour ce professeur, ne pas agir face à la détresse mentale de la plupart de ses étudiants, c’était se soustraire à une responsabilité civile et morale. Le fait qu’il ait été renvoyé a provoqué une polémique sur le réel épanouissement des élèves aux études post-secondaires.
Est-ce que les bonnes universités regroupent des étudiant sur-performants et donc plus stressés que la moyenne ?
L’administration de McGill a conscience du problème : il existe un Centre de Service de Santé Mentale (ou McGill Mental Health Services MMHS), créé en 1965. Le centre propose des traitements non médicaux de préférence, comme des groups de thérapie et des programmes pour combattre les problèmes de nutrition. L’équipe est composée de 5 travailleurs sociaux, 1 nutritionniste, 4 doctorants et 9 médecins.
Le MMHS propose des rendez-vous avec des professionnels de la santé mentale, psychiatres et psychologues, et possède un programme très développé contre les troubles de l’alimentation. De plus des thérapies de groupe de 8 ou 10 semaines qui visent à inculquer un traitement sur une longue durée sont proposées. Cette session, les étudiants peuvent participer à une thérapie cognitive sur la capacité à s’intégrer socialement. Lisa* y participe depuis le début de l’année et affirme que ces sessions l’ont aidée, « car tout le monde est dans le même cas, on ne se sent pas jugés ».
Quand le service arrive à saturation, les étudiants sont alors envoyés dans d’autres centres ou le remboursement est plus compliqué et qui ne sont pas toujours facile à accéder.
Le MMHS précise que le centre s’occupe des cas d’angoisse, de dépression, des difficultés sociales, de troubles du sommeil et de l’alimentation mais aussi des obsessions et des problèmes d’attention et de concentration.
Le site dit qu’ils se basent sur un suivi individualisé et une attention professionnelle basée sur des principes cliniques. Ils précisent que les étudiants pourraient être tournés vers un système extérieur et que généralement les suivis longue durée ne sont pas disponibles. Le site prévient dès l’accueil que « les rendez-vous sont normalement disponibles dans les 2 semaines après le contact initial ».
Est-ce normal ?
À l’entrée dans l’âge adulte et au moment d’assumer ses responsabilités, certains individus ressentent un sentiment de stagnation professionnelle et d’insécurité extrême. Les étudiants réalisent que le monde est plus dur et moins compatissant qu’ils ne l’avaient imaginé. De plus pour une partie des étudiants les années d’études se font dans une situation financière précaire ou les petits boulots nécessaires pour vivre sont ingrats, sans responsabilités, et pas gratifiants. Parallèlement, les étudiants doivent souvent gérer le sentiment de ne pas être « suffisamment bons », de l’insécurité par rapport à son futur proche, du stress lié à l’économie, des réévaluation de ses relations avec des proches, de l’incertitude par rapport à ses propres accomplissements, une certaine solitude ou nostalgie de la vie précédente, etc.
Les études supérieures sont un moment propices à l’apparition des symptômes : le stress des examens, la remise en question, les nombreux choix à faire pour son futur. De plus l’éloignement du cercle social bâti durant l’enfance accentue le phénomène : le MMHS observe que la majorité de ses patients ne sont pas du Québec. En 2005, 30% des patients étaient internationaux alors qu’ils ne représentaient que 18% des étudiants à McGill et 45% étaient des canadiens hors province alors qu’ils ne représentent que 30% des étudiants de l’université. En jargon de la prépa scientifique française, qui a presque son petit dialecte, la deuxième année se résume à « d”=r » (comprendre : déprime égale galère). Une mise en garde qui prouve que la chose n’est pas peu banale.
Le nombre d’étudiants traités depuis le début de la création du MMHS augmente. De 200 patients par an traités à la fin des années 70, il en traite 700 dans les années 90. Depuis l’an 2000 le nombre d’étudiants traités double chaque 4 ans, c’est ainsi qu’en 2005 le MMHS enregistrait près de 2 000 patients et en 2012, 20 000 patients. Le MMHS explique cette croissance exponentielle par le manque de support familial, le stress des élèves par rapport au système professionnel et à leur futur en général.
En 2008, le MMHS a du réformer son service devant des liste d’attente indécentes. Les choses vont très vite à l’université et en une semaine beaucoup de choses peuvent se passer. Selon le directeur du MMHS, Robert Franck, alors qu’ils ne traitaient « qu’» un millier d’étudiants en 2000–2001, ils sont plus de 20 000 à venir au centre en 2010–2011. Est-ce que le centre réagit en conséquence ? Quand on appelle le service pour un rendez-vous on répond : « Est-ce une urgence ? ». Il faut rappeler que la démarche même d’appeler ce centre est un obstacle pour nombre de potentiels patients. En effet, le fait de décrocher son téléphone signifie que l’étudiant assume sa faiblesse, ce qui n’est souvent pas évident. Il faut en plus analyser son propre cas afin de déterminer si c’est « urgent » ou pas. Caroline* partage son expérience : « plusieurs fois j’ai voulu y aller en personne, mais à chaque fois je rebroussais chemin, j’avais trop honte ».
Alors que la demande s’intensifie, les problèmes financiers et structurels continuent de sévir, d’aller à l’encontre de l’aide idéale qui pourrait être fournie. Les médecins sont en sous-effectifs, mais cela n’est pas étonnant : les hôpitaux ont la capacité de mieux payer les professionnels et il est difficile pour McGill d’embaucher.
La réforme de 2011
Le MMHS est financé par le gouvernement provincial et les Services étudiants. En 2008, l’administration a tenté d’augmenter le prix des frais étudiants du centre de santé mentale pour les étudiants de second cycle, mais la modification n’a pas passée. Le 25 mars 2011, la motion fut voté de nouveau et cette fois-ci les étudiants de second cycle ont accepté une augmentation de leur frais de scolarité. Le plan de santé coûte au total 14% de plus que l’an dernier, soit 413,50$. Et la totalité de ces 14% vont au MMHS.
En mars 2011, Franck, le directeur des services disait au *Daily* qu’il voulait créer des possibilités pour que les étudiants puissent donner leur avis sur le service, comme à travers un sondage, et augmenter la présence du service sur le campus en général.
Le spleen de la 2ème année
Le sport, la musique, les soirées, la vie académique, la nourriture et le transport : tout est pris en charge en résidence. Et puis la deuxième année arrive et tout paraît vide. Tout d’un coup, les étudiants réalisent qu’ils sont à l’université pour quelque chose. Choisir sa spécialité, étudier plus, penser à son futur et se confronter à mille et un problèmes de la vie, et sûrement pas pour la dernière fois. Caroline* précise que « c’est en sortant du petit cocon de la résidence que je me suis rendue compte que ça allait être dur. Qu’il fallait que j’étudie si je voulais faire quelque chose de ma vie ».
Cela peut aussi coïncider avec la crise du quart de vie. C’est un terme utilisé pour caractériser la période de la vie suivant immédiatement les changements importants de l’adolescence. Ce terme a été choisi par analogie avec la crise de la quarantaine. Il est aujourd’hui reconnu par de nombreux thérapeutes et professionnels de la santé mentale.
Encore du progrès à faire
De plus, alors que tout le campus s’enorgueillit d’être tolérant et des espaces sécuritaires (safe space), la santé mentale est un sujet très peu abordé alors qu’il touche autant de gens que le reste des services dont on fait la promotion. Pourquoi est-ce que la formation pour être leader de semaine d’orientation comprend une formation par rapport aux divers enjeux de la sexualité mais rien sur les difficultés mentales ? Il faut admettre que c’est un sujet réel, bien que sensible, et permettre aux étudiants d’en parler. Assumer que l’on peut avoir des faiblesses, que l’on n’est pas invincible ne devrait pas être un tel obstacle.
Ailleurs
Le MMHS de McGill et les services psychiatriques de l’université de Toronto sont les seuls qui proposent des suivis complets des étudiants. Concordia, par exemple, inclut la santé mentale dans son système de santé générale. Ils réfèrent exclusivement les patients vers des organismes extérieurs.
McGill est l’une des seules universités à ne pas avoir un nombre maximal de sessions auxquelles chacun peut assister, et à proposer une consultation psychiatrique sans référence précédente. Cependant, Charles* nous dit que même dans ces conditions « on a plus que jamais l’impression d’être un numéro qui commence par 260 ».
La santé mentale est traitée à McGill dans des meilleures conditions relativement au reste du milieu universitaire au pays. Cependant, ce qui manque, c’est une prise de conscience de la part des étudiants et d’un diagnostic rapide et concluant.
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