En 1601, Elizabeth 1ère, souveraine d’Angleterre, condamne à mort pour haute trahison son amant, le comte d’Essex. La veille de l’exécution, William Shakespeare et sa troupe, les Hommes du Lord Chambellan, sont invités à distraire la reine en donnant une représentation dans l’un de ses châteaux. Le couvre-feu étant sonné, ils se voient dans l’obligation d’y passer la nuit. Alors que chacun se défait de ses artifices et quitte son personnage, entre en scène celle qui toute sa vie en a joué un sans pouvoir s’en départir : Elizabeth, roi d’Angleterre.
Pièce sur l’identité, l’Elizabeth de René-Richard Cyr, malgré un sujet en or —quoi de plus fascinant en effet que ce monarque en qui l’homme et la femme se livrent un combat sans merci?—, peine à trouver la sienne. N’eut été de cette supplique adressée à Ned, acteur ne jouant jamais que des femmes, et déclamée par une reine déchirée entre son devoir et ses sentiments, le spectateur s’y serait perdu : « Enseignez-moi à être une femme et, en retour, je vous enseignerai à être un homme ». Malheureusement, tant pour la souveraine que pour la pièce, la requête vient trop tard : la femme se perd en même temps que meurt son amant et la représentation demeure informe à force de s’abreuver à trop de sources.
Le problème vient-il du texte original, trop touffu, de la traduction, dont on sent parfois les ratés —«se tapait-on » vraiment quelqu’un au 17e siècle?—, de la mise en scène, dont les effets appuyés laissent perplexe plus qu’ils n’ajoutent au sens global, de la direction des acteurs, dont le jeu est inégal ? Le résultat est une oscillation constante entre comédie et drame, entre adaptation moderne (décor qui suggère plus qu’il ne représente, grande mobilité des acteurs, effets brechtiens, accents québécois) et représentation traditionnelle (costumes d’époque, déclamation, français standard). Bien que la pièce bascule résolument du côté du drame traditionnel à partir de sa deuxième moitié, l’ambiguïté du début plonge le spectateur dans une obscurité qui, elle, ne se dissipera pas.
Au milieu de cette pénombre, Marie-Thérèse Fortin apparaît sans nul doute comme l’élément le plus positif. Son interprétation lumineuse de reine avant tout « Prince d’Europe » laisse insensiblement place à une femme blessée par les hommes, et par elle-même d’abord, pour s’achever sur un véritable cri du cœur qui ne saurait laisser indifférent. Le jeu de Jean-François Casabonne, qui interprète Shakespeare, est quant à lui tout à fait juste. En toute sobriété, il parvient à rendre crédible le personnage du grand poète et à imposer sa présence aux côtés de la munificence de la souveraine. On ne peut en dire autant de René-Richard Cyr, en Ned, qui y arrive difficilement. Son interprétation en dents de scie de cet homme nostalgique de son amour et sur le point de mourir convainc peu.
La finale, qui voit le lever du jour et l’exécution d’Essex, symbolisée par les sept coups de l’horloge et une lumière orangée cédant au jaune, sauve en partie la pièce en l’ouvrant sur un questionnement : est-il possible d’échapper au rôle qu’est notre vie ? Le contre-jour créé par l’éclairage, qui découpe la silhouette des acteurs, semble fournir une piste de réponse. Et si nous étions tous condamnés à vivre dans l’ombre de notre personnage ?