« Regarder en arrière pour mieux avancer » était le thème du Colloque annuel sur le monde des affaires et de la durabilité de l’environnement, qui battait son plein sur le campus du 31 janvier au 3 février. Jeudi soir dernier, David Suzuki, généticien, biologiste, écologiste vedette et vulgarisateur scientifique canadien par excellence, a présenté le discours d’ouverture de cette conférence organisée conjointement par la Faculté de gestion de McGill et le groupe d’initiative étudiante Sustainable Campus Durable. Lors de cette occasion, il a annoncé que McGill risquait d’être son dernier déplacement d’«affaires », puisqu’il compte faire ses futures présentations par téléconférence, afin de réduire son empreinte écologique liée au transport.
Suzuki a débuté son discours en rappelant à son audience qu’elle se trouvait en territoire mohawk. « Nos seuls guides et références [en matière d’environnement] sont de connaître notre histoire, mais à notre péril, on l’ignore. […] Nos actions, aujourd’hui, détermineront si l’humanité réussira à survivre en tant qu’espèce », a‑t-il poursuivi en rappelant que les humains sont la seule espèce dotée de l’avantage évolutif de la prévoyance. « Encore faudrait-il s’en servir », a‑t-il souligné.
« Les humains extirpent trop de ressources de la nature et y mettent trop de déchets. Et la régulation [par la législation] ne pourra pas être efficace tant que l’on ne connaîtra pas beaucoup mieux les enjeux et les dangers de nos activités », a‑t-il dit en mentionnant à titre d’exemple les CFC, qui ont fait d’énormes ravages à la couche d’ozone avant que l’on ne s’aperçoive du danger qu’ils constituaient. M. Suzuki a également mis son auditoire en garde contre les aliments génétiquement modifiés (OGM): « Retenez bien ceci : personne ne sait quels seront les effets des cultures OGM, mais vous pouvez être damn sure qu’il y aura des effets négatifs inattendus ».
Dans l’esprit de David Suzuki, les humains et l’environnement ne font qu’un : « Nos poumons comptent 300 millions d’alvéoles –dont la surface totale est égale à celle d’un terrain de tennis– qui assurent les transferts gazeux avec l’atmosphère. […] Est-ce intelligent de nous servir de l’atmosphère comme d’un dépotoir alors que nous sommes l’air ? Ce que l’on fait à l’air, on le fait à nous-mêmes ». Il a ensuite enchaîné avec un raisonnement analogue au sujet de la pollution de l’eau : « Le corps humain est composé d’eau à 60 p. cent. […] Ce que l’on fait à l’eau, on le fait aussi à nous-mêmes ».
Le point focal de sa critique est demeuré le système capitaliste parce que ce système prône la croissance avant tout et place l’économie devant l’écologie : « C’est plutôt l’économie que l’on devrait traiter comme un sous-domaine de l’écologie, puisque notre survie dépend directement des ressources de la planète ». En ce sens, il accuse l’élite dirigeante d’immobilisme, de malhonnêteté et de négligence criminelle. « On usurpe le legs de nos enfants et petits-enfants. […] On doit adopter le dur chemin qui mènera au changement », a‑t-il imploré.
S’adressant spécifiquement aux jeunes, il a conclu sur cette exhortation : « Jetez vos leaders en prison, car je crois qu’ils sont criminellement responsables. Vous êtes en droit d’exiger que quelque chose soit fait pour assurer votre avenir », a‑t-il tonné sous les applaudissements des spectateurs.
Ces mots ont galvanisé nombre de Mcgillois, dont Lili Eskinazi, étudiante au baccalauréat en IDS, qui estime : «[M. Suzuki] a frappé de plein fouet le discours économiste. Que diable vaut un PIB comme indicateur s’il ne peut démontrer le lien direct entre la croissance économique et la croissance de la souffrance humaine et le risque de catastrophe environnementale ? ». Eskinazi a poursuivi en remerciant chaleureusement l’écologiste parce qu’il « s’exprime enfin contre un système économique hégémonique que l’on traite comme une doctrine religieuse plutôt que comme un modèle construit pour servir spécifiquement les plans de dirigeants avides de cash et de pouvoir ».