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Jouer avec les villes

Les citadins vont de plus en plus faire leurs achats en banlieue. Voilà le genre de grandes vérités qui fait tourner la tête aux promoteurs immobiliers. Pourquoi ? Parce que, parbleu, s’ils veulent de la banlieue (se disent-ils), on va la leur mettre où je pense (dans la ville, pensent-ils fièrement). Noble dessein.

Le projet Griffintown en est l’exemple le plus récent. Ces dernières semaines, il a mobilisé l’attention médiatique, à mesure que les consultations publiques se sont multipliées (quoique pas assez). L’enjeu : décider de l’avenir d’un quartier sur lequel un promoteur, Devimco, a posé son regard avide en espérant y développer un projet immobilier de 1,1 million de pieds carrés. Malgré la mixité d’usages prévue, les 18 p. cent d’espaces commerciaux seraient l’équivalent de trente étages de la Tour Ville-Marie. C’est un sacré changement pour un quartier semi-industriel. Encore mieux, dans la foulée, la ville n’hésite pas à exproprier les terrains au profit du promoteur privé, un procédé que les résidents dénoncent ardemment tant dans la presse que sur différents blogues.

Pour ceux qui connaissent peu Montréal, Griffintown est un chouette coin, qui mérite de se refaire une beauté, avec un nom digne de sortir d’un Harry Potter. Situé dans l’arrondissement Sud-Ouest, vers le Canal Lachine, entre les rues Notre-Dame, McGill et Guy, il a d’abord abrité dans ses usines les ouvriers irlandais fraîchement arrivés avant d’être converti en zone industrielle par la Ville de Montréal (sans doute un zonage produit par l’aseptisation urbaine des années 1960).

D’un côté, Griffintown dispose d’une richesse patrimoniale dont le promoteur ne pense préserver qu’une partie. De l’autre, Montréal (comprendre « ses élus ») a parfois un mal farouche à protéger ses quartiers et se laisse tenter par une logique curieuse (le profit) et par des idées-concepts qui mettent en péril son héritage urbain. Comme tout bon promoteur, Devimco pense qu’il suffit de garder quelques bâtisses, d’en démolir d’autres en reconstruisant avec les mêmes matériaux (qui verra la différence?) pour que l’esprit du lieu demeure et que les voix se taisent. C’est pourquoi il se targue de garder l’église Sainte-Anne, quelques maisons ouvrières, d’anciens entrepôts. Soigner l’espace et la relation entre ces bâtiments, cela ne le regarde pas.

Jean-Claude Marsan, dont tout bon étudiant montréalais en urbanisme a lu l’ouvrage Montréal en évolution, clamait le mercredi 6 février dans Le Devoir que « Montréal mérite mieux que le projet Griffintown », dénonçant une idée « importée » de Floride et de Californie, le concept abstrait d’un mode de vie lié à la consommation et la dépendance à l’automobile. Un « produit de banlieue », c’est ce que sera Griffintown. Il n’y a rien d’original à fustiger tout ce qui se rapporte à la banlieue ces temps-ci. Cela dit, il n’a pas tort.

Qu’on ne se méprenne pas, il faut que Montréal bouge et se rénove. Elle ne doit pas résister au changement sous le seul prétexte de maintenir les traces de son passé. Mais ce sont des manières de faire d’un autre temps que de se laisser séduire par l’idée qu’une ville se construit en calquant un grand projet sur un paysage urbain existant. Montréal mérite mieux, certes, mais il lui faudra un peu de bon sens.


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