Jusqu’au 16 février, l’Usine C présente Homme sans but, œuvre du Norvégien Arne Lygre mise en scène par Claude Régy. Le monument vivant du théâtre français trimbale avec lui une poignée de talentueux comédiens d’outre-Atlantique qui s’exécutent dans une production aussi froide que cérébrale. Si seulement il pouvait les laisser jouer…
L’histoire s’articule autour de Peter (Jean-Quentin Chatelain), le seul personnage nommé de la pièce. Tous les autres se définissent par rapport à lui : ils s’appellent Frère (Redjep Mitrovitsa), Assistant (Axel Bogousslavsky), Femme (Bulle Ogier), Fille (Marion Coulon) et Sœur (Bénédicte Le Lamer). Le tout repose sur une trame narrative rudimentaire : Peter, un riche visionnaire, fonde une ville utopique au bord d’un fjord, risquant la fortune d’une vie dans un rêve savamment planifié.
Le véritable intérêt de la pièce est l’exploration des liens que Peter entretient avec son entourage. Alors qu’il est à l’article de la mort, des personnages surgissent tour à tour de son passé. Ces êtres habitant dans l’ombre depuis des années se découvrent mutuellement et apprennent qu’ils ont vécu dans les méandres des mensonges et des silences de Peter.
Par le biais de cette histoire d’héritage et de dépendance à l’argent, Homme sans but tente d’attirer l’attention du spectateur sur la marchandisation des rapports humains et sur ce qui définit l’individu à l’heure de la virtualité. Alors que les rapports avec nos semblables sont profondément chamboulés, quelle place reste-t-il pour la vérité et l’absolu ? Si ces questions ne manquent pas d’intérêt en elles-mêmes, le rendu de la pièce est si pesant qu’il risque de pousser au sommeil plutôt qu’à la réflexion existentielle.
« Rien n’est plus pénible que des silences qui se prolongent », lance à un moment le personnage de Peter, le bâtisseur d’empire. Il est malheureusement trop tentant de le prendre au pied de la lettre. Au vu des 2h30 (sans entracte) que dure cette pièce où les dialogues sont menés sur un ton monocorde et traînant, fréquemment entrecoupés de longues secondes de silence, le spectateur ne peut qu’acquiescer.
Le rythme s’impose dès l’ouverture : chaque syllabe, chaque mot, sont exagérément étirés. Quelques fous rires réprimés se font d’abord entendre dans le public. On comprend pourtant bien vite qu’il en sera ainsi tout au long de la représentation et qu’il n’y a là aucune intention comique. La pièce étant campée sur une scène nue, toute l’attention est portée sur le jeu très intériorisé des comédiens. Les contacts physiques sont réduits au minimum, ce qui souligne encore l’effet de distance et sert le propos de l’auteur sur les rapports humains. Dans le dépouillement de l’ensemble, l’atmosphère tendue est bien rehaussée par des touches d’éclairage et d’ambiance sonore.
Homme sans but est probablement ce que l’on peut appeler une pièce de metteur en scène. Ce n’est pas un défaut a priori, mais cela le devient par le fait que le vénérable Claude Régy (84 ans) n’arrive pas à se faire oublier. Tous les comédiens sont comme empesés, raidis sous la forme que la mise en scène leur impose. Dans un ensemble monotone, ils sont contraints à une lecture désincarnée d’un texte qui pourrait être mieux servi. Comme quoi à jouer sous un monument, on risque fort de se retrouver dans son ombre.