En cette fin de semaine ensoleillée, Montréal (mon quartier, j’entends) semble ma foi fort désert sans ses étudiants rentrés chez eux pour la relâche. Je parcours l’excellent blogue spacingmontreal.ca où un article de Christopher DeWolf, qui évoque le temps où marchands de nourriture et colporteurs en tous genres arpentaient les rues de Montréal. C’était avant que la ville ne chasse, pour faire plus propret, ces gens qui avaient jusqu’alors été partie intégrante de la vie montréalaise. Ce type de politique manifeste la crainte du désordre et l’indifférence historique des élus d’alors et nous a apporté des rues comme McGill College qui, malgré leur potentiel, restent désespérément vides. Ce sont des axes sans intérêt aucun, dénués de ce brin d’informel —de ce je-ne-sais-quoi de brouillon— que certains ont cru bon de reléguer aux centres commerciaux et aux espaces souterrains ou aériens réglementés à cet effet. Car pourvu que l’espace soit nettoyé de ses éléments non contrôlés, tout va pour le mieux. Pour « rattraper » ces espaces publics défectueux parce que non fréquentés, certains pensent qu’il suffit d’exposer quelques photos pendant l’été, de replanter quelques arbres et d’installer çà et là des bancs, de faire un joli square. C’est si facile d’oublier que les gens, ça peut aussi servir, à l’occasion.
Comme certains sujets se prêtent parfois à un bouillon de souvenirs d’enfance larmoyants, je vais me laisser aller à ce petit plaisir (mais sans les larmes, ça fait cheap). J’ai vécu mes premières années dans une ville bordélique, à une époque agitée. La rue était, comme partout, un des lieux principaux où les liens sociaux et de solidarité se nouaient. Les colporteurs fournissaient à ce paysage urbain un certain rythme et beaucoup de vie. J’ai perdu ma première dent en croquant un maïs acheté à un marchand qui circulait à travers le quartier en faisant tinter ses ustensiles, annonçant ainsi son arrivée aux résidents.
Souvent, du haut de son balcon, une dame interpellait un colporteur. Il s’approchait de l’immeuble. Du balcon descendait un petit panier retenu par une ficelle, dans lequel quelques billets étaient déposés. Le bonhomme prenait l’argent et mettait sa marchandise. Le panier remontait. La transaction avait entre-temps fourni un bref divertissement aux passants. Deux voisines s’étaient peut-être mises à leurs fenêtres pour regarder et entamaient sur ce une conversation. Maintenant, je ne sais pourquoi, ces vendeurs disparaissent peu à peu de cette ville pour plonger les rues résidentielles dans le silence.
Plus récemment, un bref passage à New York m’a rappelé le rôle que peuvent encore jouer dans les grandes villes d’Amérique du Nord ces marchands « à la sauvette » (bien qu’ils disposent d’un permis). Peu importe qu’ils aient à offrir un hot dog de qualité douteuse ou des vêtements de mauvais goût. L’intérêt est qu’ils soient là, à une intersection, que les gens s’arrêtent, regardent, saluent, bavardent, échangent.
Toute cette rengaine pour en venir à ceci : voilà quelques années déjà que nos municipalités tentent d’en venir à des méthodes plus flexibles d’aménagement. Il serait peut-être temps de réhabiliter ce mode informel de commerce et d’inscrire dans l’agenda public l’arrêt de la répression contre les colporteurs, à côté de l’omniprésent développement durable et des sacro-saintes pistes cyclables.