Le mouvement DIY (acronyme de do-it-yourself) propose de faire soi-même, de façon artisanale, les objets dont nous avons besoin. Cette volonté de « faire à la main » peut s’exprimer de plusieurs façons : tricoter son foulard, pétrir son pain, récupérer de vieilles planches pour s’en faire des tablettes, réaliser un court-métrage et le monter sur son ordinateur personnel… Le milieu culturel fourmille de références DIY. Pensons entre autres aux zines —magazines faits à la main— du côté littéraire et aux étiquettes indies du côté musical. L’artisanal est de plus en plus à la mode. Plus qu’un loisir, fabriquer les objets à la main peut aussi devenir une prise de position face à la consommation. En invitant les individus à « faire eux-mêmes », pour ne pas consommer de produits manufacturés, le mouvement DIY prône l’acquisition de compétences permettant d’atteindre l’indépendance matérielle. Le phénomène est donc aussi politique qu’artistique.
Le retour de l’artisanat
Alors qu’on était DIY par nécessité jusqu’au début du vingtième siècle, la génération urbaine de l’après-guerre, qui pouvait acheter ce dont elle avait besoin, a délaissé de grands pans du savoir-faire artisanal. La rénovation résidentielle est sans doute la manifestation DIY qui a le mieux résisté à la vague. Avec l’apparition des centres de rénovation à grande surface dans les années 1950, on pouvait désormais acheter des deux par quatre pour aménager soi-même son environnement à moindres coûts, sans faire appel à des professionnels. Certes un loisir, la rénovation domestique était aussi une source de fierté et une démonstration d’indépendance. Au-delà de l’aspect fonctionnel des objets, « faire soi-même » permet de personnaliser sa maison, de la modifier pour l’adapter à ses besoins.
En dehors des villes, le savoir artisanal a aussi souffert d’impopularité durant les dernières décennies du vingtième siècle, mais il semble qu’il y ait trouvé quelques refuges. Des mouvements ruraux comme le Cercle des fermières ont entretenu les braises pendant que plusieurs se tournaient vers les briquets jetables. Aujourd’hui, la plupart des gens doivent réapprendre comment faire les choses eux-mêmes. À coups de guides illustrés, d’émissions de télévision et de sites Internet, monsieur et madame tout-le-monde recommencent à coudre des vêtements et à faire des conserves. On redonne à tous la possibilité de faire soi-même, d’aménager son jardin et d’installer ses moulures.
Cette possibilité s’inscrit dans un processus de prise de pouvoir individuel, une caractéristique de l’éthique DIY qui en fait une mine d’or pour les créateurs. Le milieu des arts a toujours entretenu cette volonté d’indépendance. Tout comme l’Internationale situationniste et le dadaïsme, le DIY est une culture de la résistance. Le phénomène s’inscrit en porte-à-faux de la standardisation et de l’uniformisation culturelles, chaque pièce faite à la main étant unique. Le courant est aussi une critique de la surconsommation, comme l’ont été le Pop Art et le Ready-made. En reconnectant le créateur avec le public, il invite aussi chacun à devenir participant, à créer sa propre culture.
Se mettre en page
C’est d’ailleurs la volonté de créer un réseau de communication entre les acteurs de la scène musicale underground qui a mené à l’apparition des fanzines —mot formé par la contraction de fan et de magazine— dans les années 1930. Véritable ambassadeur de la culture DIY, le fanzine est un feuillet personnel fabriqué à la main avec des ciseaux et de la colle, puis photocopié, broché et distribué par la poste. À mi-chemin entre le magazine et le journal intime, le fanzine a atteint son apogée à la fin des années 1970 avec la montée de la culture punk en Angleterre. Contenant le plus souvent des critiques de groupes musicaux et des entrevues avec leurs membres, les fanzines de l’époque étaient une façon pour les amateurs de faire connaître la scène punk.
Selon Teal Triggs, professeur, critique et historienne de design graphique, les fanzines punk —mentionnons notamment Sniffin’ Glue (1976–1977), Ripped and Torn (1976–1979), Chainsaw (1977–1985) et Panache (1976–1992) — ont même contribué à créer une « esthétique DIY ». Collages d’images et de dessins, lettres découpées et réassemblées, surcharge d’éléments rappelant le baroque, grain de photographie apparent, le style DIY provient avant tout des moyens de production artisanaux. L’utilisation du photocopieur par les créateurs de fanzines, par exemple, a eu des conséquences sur le design des publications et a contribué à définir un style particulier.
Aujourd’hui détaché du milieu musical, le zine a été adopté par plusieurs pour diffuser la création en dehors du « marché » littéraire. Productions modestes, la plupart des zines commencent avec une cinquantaine d’exemplaires. Le prix de vente, habituellement entre deux et cinq dollars, sert à couvrir les coûts de production. Plusieurs bédéistes font connaître leur travail de cette façon, en laissant quelques copies photocopiées et reliées à la main dans les boutiques spécialisées ou en les vendant directement dans la rue. Parallèlement à la vague d’autofiction littéraire, on a aussi vu apparaître des perzines —zines personnels—, très près du journal intime.
La culture DIY, soumise aux mêmes contraintes, a gardé plusieurs éléments de l’esthétique des fanzines punk. Le fait-main donne souvent un style un peu bancal aux productions. Oeuvre d’une couverture à l’autre, le zine permet au créateur de personnaliser à la fois le contenu et le contenant. Pour le public, le monde du zine permet de trouver une variété et un caractère brut que le contenu soumis au regard éditorial et aux structures de production et de diffusion conventionnelles peine à conserver. Pour Adam Thomlison, journaliste indépendant et créateur de zines, l’avantage de faire le design de ses propres écrits est d’avoir un contrôle total sur le produit final. Le créateur peut aussi faire naître une relation privilégiée avec son lecteur, comme « écrire une lettre à la main plutôt que d’envoyer un courriel ».
Cependant, l’authenticité du zine n’est pas toujours un gage de qualité. Certaines publications, à la limite du nombrilisme, semblent obscures au néophyte. On peut également faire le rapprochement entre les zines imprimés et certains blogues, qu’on pourrait qualifier de zines électroniques. En échangeant la colle et les ciseaux pour le clavier et les logiciels de traitement d’images, les auteurs de la marge ont pris d’assaut Internet. Dans les deux cas, les créateurs favorisent la présentation d’un point de vue personnel, procurant ainsi au lecteur une image instantanée de la société.
L’accessibilité d’Internet et ses capacités de diffusion en ont aussi fait un outil de choix pour le mouvement DIY. Le réseau fourmille de ressources permettant à n’importe qui d’apprendre à faire n’importe quoi. On peut entre autres y trouver des guides en ligne, comme Wikihow, où les autodidactes peuvent consulter les étapes à suivre pour changer un pneu crevé, laver des couches en tissu, compresser un fichier PDF ou, plus simplement, fabriquer une enveloppe.
Indie et in-DIY
La scène musicale underground contemporaine, séparée du monde des zines, utilise aussi Internet comme moyen de diffusion. En permettant aux fans d’écouter et d’acheter de la musique en ligne, certains artistes émergents réussissent à se faire connaître sans entrer dans le « système ». Ces groupes arrivent à produire leurs premiers albums sous étiquettes indépendantes, sans le soutien de l’industrie. La tendance internationale indie —terme générique mal défini, mais dérivé d’indépendant—, particulièrement florissante à Montréal, s’inscrit dans la philosophie DIY. La plupart des étiquettes indépendantes accordent également beaucoup d’importance à l’apparence des pochettes et font de leurs disques des objets d’art.
Le travail de plusieurs groupes émergents relève, par nécessité ou par choix, de cette tendance à produire soi-même disques, spectacles et campagnes de diffusion. «[On travaille] dans l’esprit du do-it-yourself, […] on cumule tous les rôles », affirmait récemment en entrevue au Devoir Vincent Letelier, membre du groupe montréalais The National Parcs.
Bricolage politique
Les fanzines punk, avec leur chaos graphique organisé, véhiculaient la volonté de contestation de la sous-culture. Par la mise en place d’un dialogue entre les fans et les artistes, ils ont contribué à un échange d’idées et à la formation d’une identité sociale et politique propre au mouvement. L’album Anarchy in the UK, des Sex Pistols, est considéré par plusieurs historiens des sous-cultures comme l’affirmation DIY d’une volonté d’indépendance et d’autodétermination. Par la contestation du modèle établi, les sous-cultures punk et anarchistes voulaient redonner à l’individu un contrôle sur la sphère sociale.
Ce message de résistance est aussi un activisme, puisqu’il prône la prise de pouvoir par l’action. Pour certain, le DIY est donc une affirmation politique, une invitation à faire soi-même la société. Mick Mercer, créateur du fanzine punk Panache, plus tard devenu journaliste indépendant, nuance cependant cette prise de position : « J’ai seulement voulu garder les choses simples et faire ce que j’aimais ».
Acheter le DIY ?
Prônant l’action locale pour contrer le consumérisme, l’idéologie DIY est antinomique à la logique de production et de consommation de masse. Selon cette philosophie, consommer moins permet de réduire la vitesse de la croissance illimitée à la base du modèle capitaliste. Une idée qui trouve écho dans les propositions de réduction du travail mises de l’avant par les mouvements européens de gauche visant à réduire l’empreinte environnementale des sociétés. Un éthos qui ne plaît certainement pas à Lucien Bouchard et aux « lucides », qui accusent déjà les Québécois de ne pas travailler assez, ni au président français Nicolas Sarkozy, qui proposait récemment aux habitants de l’Hexagone de transgresser la règle des 35 heures de travail par semaine pour pouvoir augmenter leur pouvoir d’achat.
On peut également élargir la popularité de l’artisanal à l’engouement pour les aliments du terroir, les produits locaux, les vêtements faits à la main. Dans tous les cas, les gens semblent ressentir un besoin de sortir de l’anonymat, de ne plus être un numéro dans une mécanique sur laquelle ils n’ont aucun contrôle. Partout, on recherche l’authenticité. Le caractère imparfait des produits artisanaux sert maintenant à légitimer leur caractère véritable. Et les produits artisanaux se vendent bien, souvent plus cher que les produits manufacturés.
Cependant, l’engouement pour la création personnelle et la mise en valeur des produits artisanaux associés à l’éthique DIY n’ont pas tardé à être récupérés par la société de consommation. Les nouvelles formes de bricolage pour adultes, comme le scrapbooking et le vitrail, se vendent désormais en ensembles de pièces prédécoupées et précréées pour le consommateur désireux de « faire à la main ». Sans s’en revendiquer, ces produits semblent paradoxalement profiter de la tendance DIY, une philosophie qui proposait à la base de « faire soi-même » pour ne pas consommer.