Ayant ses racines dans les éléments folk régionaux, le jazz européen s’inspire largement de la grande tradition musicale classique. En ce sens, des compositeurs tels Debussy et Alban Berg ont influencé plusieurs générations de musiciens jazz.
Aussi diversifié que la population du vieux continent, le jazz d’Europe se détache explicitement de sa contrepartie américaine. Là, on cultive un spectre musical beaucoup plus large et l’on repousse continuellement les limites du jazz. La diversité des chemins empruntés afin d’établir une musique improvisée différente et unique a multiplié les styles à travers la seconde moitié du 20e siècle. Chaque pays possède ses propres artistes établis.
Il n’y a qu’à regarder le traitement du free jazz par des artistes comme Frode Gjerstad et Frank Gratkowski pour découvrir des facettes intéressantes. De manière très abstraite, l’univers des artistes free d’Europe relève d’un expressionnisme où la technique et la musique atonale et dysharmonique s’affrontent. Le résultat est parfois anarchique (comme dans le cas de Peter Brotzmann), parfois génial (par exemple Evan Parker, qui sera à Montréal en juin). Souvent des « intellectuels », ces artistes profitent du soutien de l’État et de certaines universités afin de se consacrer entièrement à leur musique. Avec le temps, ils ont su se créer un public averti et ouvert.
L’ouverture est d’ailleurs un des traits caractéristiques du jazz à l’européenne. Par le passé, de nombreux musiciens américains se sont expatriés en Europe afin d’y poursuivre leur carrière dans une ambiance de respect. Apportant avec eux une vision différente, ils laisseront une trace durable dans le paysage jazz de nombreux pays comme la France et la Hollande. Aujourd’hui, chacun des passages des grands musiciens jazz d’Amérique en Europe soulève passion et intérêt. Les nombreuses étiquettes indépendantes, comme HatHut et Clean Feed, et les prestigieux festivals de jazz, dont celui de Montreux, témoignent bien de la vitalité de ce genre sur le vieux continent.
Une autre caractéristique du jazz européen est la présence de grands orchestres partout sur le territoire. Que ce soit avec le ICP Orchestra, le London Improviser Orchestra, le Vienna Art Orchestra ou le Willem Breuker Kollektief, les musiciens européens apprécient ces réunions où le tout à plus d’importance que les parties. Les compositions pour larges ensembles permettent alors une exploration liant les formes classiques d’autrefois avec la vigueur et l’énergie du présent.
En ce qui concerne le jazz contemporain, il faut souligner l’émergence des pays scandinaves dans le tableau européen. Véritables pépinières de talent, on y retrouve plusieurs musiciens de renommée internationale comme la pianiste Bugge Wesseltoft, l’énergique batteur free Paal-Nilsen Love et la formation Esbjörn Svensson Trio. Ce dernier groupe est un bel exemple de l’ouverture et du son européens. Amalgamant des influences rock, pop, électroniques, classiques et jazz, le Esbjörn Svensson Trio a réussi, par des compositions complexes, mais accessibles là où plusieurs ont échoué. La synthèse qu’il propose en concert opère chez l’auditeur à la façon d’un groupe punk suédois. L’énergie est concentrée et la réalisation impeccable.
Suggestions disques
Vienna Art Orchestra : The Minimalism of Erik Satie (1984)
Esbjörn Svensson Trio : Tuesday Wonderland (2006)
Alexander von Schlippenbach : Monk’s Casino (2005)
Suggestion concert
Joëlle Léandre (France) avec Jean Derome et Danielle Palardy Roger, mardi 25 mars à la Sala Rossa.