Au départ, j’avais bien l’intention de discourir sur l’art contemporain en Asie, mais j’ai rapidement constaté que mes connaissances n’étaient guère à la hauteur. J’aurais certes pu papoter sur les chimères mignonnes et monstrueuses de Takashi Murakami, auteur du Superflat Manifesto. J’aurais pu décrire la poignée d’artistes chinois qui m’ont été recommandés, comme Yang Zhenzhong, qui a demandé à des dizaines et des dizaines de gens de déclarer à la caméra, dans leur langue maternelle, « je vais mourir ». Je vais plutôt rester bien ancré à Montréal, et revenir sur l’événement culturel des deux dernières semaines, le Festival international du film sur l’art (FIFA).
Si je me fie aux quelques documentaires que j’ai eu la chance de voir, il semble que les cinéastes se soient donné le mot pour parler de la même chose. Cette chose, c’est la notion industrielle de la production d’art contemporain. L’artiste, en tant que producteur de contenu visuel de « qualité » (le critère, ici, peut s’avérer assez polymorphe), est en fait assez bien entouré. Songeons à Andres Serrano, connu pour Piss Christ (une superbe et poétique photo d’un crucifix… plongé dans l’urine). Tout au long de sa carrière, jusqu’aux portraits de la Comédie-Française, Serrano a été entouré d’assistants, soutenu par un laboratoire et un encadreur, promu par divers galeristes et commissaires.
Nombreux sont les artistes oeuvrant à l’échelle internationale qui possèdent un, sinon plusieurs studios, où les assistants érigent, complètent et retouchent les futures créations des grosses pointures de l’art contemporain. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi, puisque le milieu (et, dans une certaine mesure, le spectateur) est conscient de cette créature tentaculaire amplifiant les moyens de production.
Damien Hirst, figure centrale des Young British Artists –jonglant désormais avec les rôles d’artiste et de conservateur– profite de ses expositions pour juxtaposer des œuvres prestigieuses d’hier et d’aujourd’hui avec les créations personnelles des artistes travaillant dans ses studios. La structure industrielle, au diapason avec le marché de l’art, permet à l’artiste de réinvestir dans le milieu et de cultiver son autonomie.
C’est ce même système qui permet à la sculpteur Louise Bourgeois, presque centenaire, de continuer à travailler et à exposer. Ce petit bout de femme, concentré de rage et d’intensité, a notamment réalisé des araignées gigantesques de métal et de marbre, au potentiel d’évocation sans équivoque. Celles-ci sont désormais installées un peu partout dans le monde. Bourgeois affirme créer à grande échelle « parce que son corps est trop frêle pour contenir l’intensité de ses émotions ». Comment pourrait-on refuser en bloc un système permettant à des artistes de créer des oeuvres monumentales malgré un âge avancé ?
Reste à voir comment l’Asie contemporaine, bouillon d’énergie et de trouvailles, s’intégrera dans ce mécanisme…