Le Délit (L.D.): Dans tes dernières apparitions, tu joues surtout des rôles de fille rebelle, comme dans Ma fille, mon ange ou la populaire télésérie Les Lavigueur, la vraie histoire. Qu’est-ce qui t’attire dans ce type de rôle ?
Laurence Leboeuf (L.L.): C’est le jeu, c’est-à-dire la transformation, qui m’attire. J’aime vivre la vie de quelqu’un d’autre pendant quelques semaines. Je me transforme complètement. C’est quasiment plus dur pour moi de jouer des personnages qui se rapprochent de moi ; tu dis des répliques que toi-même tu dirais, tu t’associes à lui. Au contraire, des rôles qui pour moi sont vraiment exigeants, ce sont ces rôles de transformation. Une rebelle, une prostituée, une outcast. Il faut que j’aie du matériel, quelque chose qui anime le personnage.
L.D.: Quand on te voit, tu n’as pas vraiment l’air d’une rebelle. D’où tires-tu ton inspiration pour des scènes aussi difficiles que celles de Ma fille, mon ange, par exemple ?
L.L.: Avec l’équipe de production, nous sommes allés voir les danseuses dans un bar. On a parlé avec les filles. En même temps, je crois que je me base sur ma propre idée de ce qu’est leur réalité. Je n’ai jamais dansé ou pris de drogue dure, mais j’ai l’impression que je peux vraiment m’imaginer ce que c’est. Que je peux tomber dans ce monde-là, sans même y avoir touché.
L.D.: Comment réussis-tu à te détacher de tes personnages après une journée de tournage ?
L.L.: Je ne suis déjà plus le personnage quand on dit : « Coupez ». Mais le personnage affecte ma vie. L’énergie du personnage reste, mais pas le personnage. L’énergie dans le sens que si c’est Louise [son rôle dans Les Lavigueur] et qu’elle fait le party, je vais rentrer chez moi un peu high. Pendant le tournage de Ma fille, mon ange, j’avais tout le temps envie de sortir. Dans Story of Jen [film à paraître], j’étais calme et solitaire. Je ne sortais pas de ma chambre d’hôtel.
L.D.: Tu viens de recevoir le Jutra de la meilleure actrice de soutien pour ton rôle dans Ma fille, mon ange. À 22 ans, c’est une belle consécration pour toi, d’autant que ce prix est décerné par l’Union des artistes.
L.L.: Oui, ce prix est un clin d’œil immense. C’est seulement maintenant que je réalise à quel point ce trophée représente quelque chose d’important. Les gens qui ont voté pour moi sont des gens que je respecte énormément, avec qui j’aimerais travailler. C’est une grande marque de respect. Pour moi, […] c’est comme s’ils me disaient : « Beau travail, continue ! »
L.D.: Ce prix et ton rôle dans Les Lavigueur t’ont beaucoup médiatisée, comment te sens-tu d’être mise en avant sur la place publique ?
L.L.: C’est la première fois que je vis ça. Et je dois avouer que je ne trouve pas cela toujours facile, pas évident. Quoi répondre ? Répondre ce qu’ils veulent entendre ou ce que je pense ? Il y a comme un code à respecter dans le monde artistique. Par exemple, au Gala des Jutra, j’étais bombardée de questions et je ne savais pas quoi répondre. Je n’avais même pas eu le temps de réaliser moi-même ce que j’étais en train de vivre qu’on me demandait : « Comment te sens-tu ? Est-ce que tu dédies ce trophée à tes parents ? Qu’est-ce que cela va changer dans ta vie ? » J’étais épuisée, je voulais simplement m’en aller. Je ne savais plus quoi faire de mon corps, de ma pensée.
J’ai toujours été timide. Les photos me mettent mal à l’aise, dès que je fais des entrevues dans un lieu public, ça me gêne. Je n’aime pas être dans le spot light. Et en ce moment, j’y suis beaucoup. Je ne sais pas comment faire, je ne sais pas comment ça marche. Je suis tellement nerveuse d’aller dans un talk show. Parce que c’est moi qui y vais, pas mon personnage. Je ne peux pas me cacher derrière un personnage.
L.D.: Comment ta carrière d’actrice a‑t-elle commencé ?
L.L.: Par une première audition pour L’Ombre de l’Épervier. Je ne voulais pas être actrice, mais je voulais juste essayer. Je suis entrée dans l’agence de mes parents et j’ai commencé à faire des auditions à l’âge de onze ans. Enfant, je voulais être écologiste ou vétérinaire. C’est quand j’ai fait Virginie pendant quatre ans que, là, j’ai réalisé que c’était vraiment ça que je voulais faire.
L.D.: Tu as commencé en sachant que le métier d’acteur n’était pas toujours drôle. L’incertitude ne te fait pas peur ?
L.L : Non, pas encore. Je suis capable de laisser aller. Je suis le courant. Cela fait déjà cinq mois que je ne travaille pas. Entre-temps, je vis. La transition est immense. Mais ce n’est pas un stress que j’ai aujourd’hui. Moi, je crois beaucoup aux rôles qui arrivent dans notre vie parce qu’on est dû pour les faire. Mais après trois mois intenses de tournage, je suis fatiguée et je n’ai plus envie de jouer. Il faut que ta vie recommence : rappeler tes amis, retrouver ta vie sociale. Quand je travaille, je disparais de la carte. Je ne suis plus capable de parler au monde. La transition est dure parce que tu passes de tout à rien. C’est un métier si différent, si instable. En ce moment, cela me manque de jouer.
L.D.: Depuis trois ans maintenant, tu pars à Los Angeles pour passer des auditions. Dans quel but ?
L.L.: C’est un moyen pour pousser mes limites, mais j’ai aussi une grande attirance pour le cinéma américain depuis mon enfance. Des films comme Titanic, même si c’est « con », m’ont marquée. Leur histoire d’amour est tellement envoûtante. Jack, juste ce nom. C’est l’homme ! Je me rends compte qu’ils ont plus d’espace pour la réflexion, plus de budget aussi. Il n’y a pas de hiérarchie dans ma tête entre le cinéma québécois et américain. Je ne veux pas faire n’importe quoi. Je veux seulement faire de bons films.