Le kitsch n’a jamais été aussi à la mode. Lors des FrancoFolies, cet été, le retour triomphal du groupe les B.B. n’était pas dû à une appréciation soudainement plus profonde de perles telles que « Pourquoi t’es dans la lune ? » ou « Fais attention ». Si certains fans de la première heure brûlaient sans doute d’un amour sincère pour ces rockeurs au cœur tendre, les plus jeunes étaient pour la plupart venus au concert d’abord et avant tout pour le côté kitsch de la chose, se régalant des montées dramatiques ratées des chansons.
Bien sûr, nous avons tous nos plaisirs plus ou moins coupables. Je n’hésite pas à dévoiler une affection marquée pour Britney Spears en public, même si cette affirmation a peu contribué à agrandir mon cercle social jusqu’à ce jour. Mais ce qui diffère ici, c’est que le kitsch, typiquement associé au mauvais goût, est de plus en plus récupéré par les gens de notre génération pour devenir un élément de la contre-culture. Les vidéos sur Internet mettant en scène des chanteurs peu talentueux mais ô combien souriants font fureur. Les Trois Accords ont investi le domaine de la musique populaire en utilisant les lignes mélodiques de celle-ci, refrains et chœurs à l’appui, et en les assortissant de paroles débiles. Les publicitaires font de plus en plus souvent appel à des parodies de leurs propres concepts de marketing dans leurs réclames, reprenant le ton exagérément joyeux des vendeurs pour se moquer de l’univers parfaitement beau et bon qu’eux-mêmes montraient avec fierté quelques années plus tôt.
Qu’est-ce qui rend une chanson, un film ou même un vêtement suffisamment kitsch pour qu’il devienne cool ? Jusqu’où peut-on aller dans l’absurdement laid sans franchir les limites du bon goût ? Les coupes « Longueuil » et les moustaches, pourtant rarement considérés comme des parangons de beauté esthétique, n’en sont pas moins venus hanter les rues du Mile-End cette année. Un retour sournois du célèbre chandail de loup, avec lune en arrière-plan, se laisse même anticiper.
Le clin d’œil complice entre initiés, clin d’œil typiquement postmoderne, est nécessaire au fonctionnement du kitsch branché. Adopter le kitsch comme posture esthétique est affaire de groupe et, bien souvent, cette attitude voyage très mal hors du monde qui l’a fait naître. Il faut ainsi être vigilant : portez votre chandail de loup avant qu’il n’ait été décrété de bon ton de le faire, et vous risquez fort d’être marginalisé par vos amis hipsters. Allez en Russie, et il est probable qu’on admirera avec sincérité la virilité de son motif. Le second degré de la chose ne leur sautera pas aux yeux. Il serait complexe d’expliquer à vos nouveaux copains slaves que vous ne vous identifiez pas vraiment à l’esprit du loup.
Une célèbre citation de Baudelaire, récupérée par une certaine chaîne de librairies pour orner ses sacs, annonçait déjà cet état de fait : « Le beau est toujours bizarre ». En soupirant devant la pochette de mon album de Philippe Lafontaine, interprète de l’indémodable « Cœur de loup », je ne peux qu’abonder dans le même sens.