Tandis que s’étiole octobre et que novembre apparaît à l’horizon, le temps paraît propice aux réflexions lugubres. Quand vous pensez à la mort, quelles expressions vous viennent en tête ? Sans doute songez-vous à « être six pieds sous terre » ou à « manger les pissenlits par les racines»… Dans mon coin, il y a quelques générations, on disait « aller gruger des os » pour indiquer qu’on allait à des funérailles.
Ce délicieux idiome m’a été enseigné par Takumi, un spécialiste du folklore et des traditions nippones. Je lui décrivais quelques traditions qui marquent le passage de l’automne à travers le monde – l’Halloween bien sûr, mais aussi la Toussaint et la Fête des morts – quand cette expression lui est venue en tête. Takumi tire un plaisir manifeste à communiquer avec les aînés et à prendre connaissance des traditions orales avant qu’elles ne disparaissent.
Bien qu’il soit à l’occasion un professeur invité à l’université du coin, Takumi passe le plus clair de son temps au centre de recherche anthropologique. Établi dans une ancienne école secondaire, le centre fourmille de métiers à tisser, d’instruments agricoles, de vaisselle et d’autres reliques.
J’ai eu la chance de visiter l’endroit ; j’avais l’impression d’être dans les coulisses du Village québécois d’antan, version nippone. Là-bas, les vieilleries du voisinage sont triées, nettoyées, documentées, illustrées et classifiées dans le dessein d’ouvrir éventuellement un centre d’histoire de la région. Malgré la modernisation et le bitume, il y a le désir de commémorer le passé modeste du patelin.
Takumi n’est évidemment pas satisfait de passer autant de temps sur une entreprise qui n’est que superficiellement liée à son champ d’intérêts. Il considère néanmoins la situation avec le sens de l’humour mi-acide mi-lucide qui le rend si particulier. Quand je lui ai demandé s’il avait peur de quelque chose, il m’a d’abord répondu : « J’ai peur de mon épouse. » Puis, réfléchissant un peu, il a ajouté : « J’ai peur de moi-même quand je bois trop d’alcool. »
En fait, Takumi ne peut pas se consacrer à son champ d’études parce qu’il n’a pas assez d’ancienneté pour avoir un poste de chercheur. Il n’est pas jeune pour autant ; ses trois enfants et ses cheveux gris trahissent un certain âge. Ce piétinement professionnel tient de la hiérarchie rigide de certaines professions et du fait que les aînés ici sont, faute de trouver une meilleure expression, apparemment increvables. Sans blague, il y a un type de quatre-vingt-sept ans qui a couru un « mini-marathon » de dix kilomètres la semaine dernière.
Entre-temps, Takumi demeure enlisé dans les dédales bureaucratiques. « Je passe mes journées à appliquer mon sceau officiel sur des documents. » Je ne peux m’empêcher de penser à la chronique de Pierre Foglia durant les Jeux olympiques de Pékin, de l’importance accordée au sceau officiel et à la hiérarchie de superviseurs et de superviseurs de superviseurs. Après tout, peut-être y a‑t-il quelque chose de vaguement communiste au Japon ? Ça expliquerait pourquoi je dois attendre cinq minutes quand je vais payer une facture à la banque…