Akiko a la mi-vingtaine. Sa malformation au pied lui donne une démarche un peu vacillante. Par contre, lorsqu’elle conduit, il n’est pas rare qu’elle atteigne pratiquement le double de la limite de vitesse permise. Ce qui ne l’empêche pas d’être l’une des pilotes les plus compétentes que j’ai vues, dans ce système routier où l’on brûle les feux rouges à qui mieux mieux.
Et puis, si Akiko conduit aussi vite, c’est aussi parce qu’elle est assez occupée ces jours-ci. Il semble que l’automne soit la saison des festivals, et autres célébrations. En tant qu’employée au bureau administratif municipal, elle voit donc ses tâches s’accumuler et dévorer fins de semaine et congés fériés. Les vacances devront attendre à plus tard.
À titre d’exemple, voici un échantillon des événements marquant les jours automnaux. Il y a d’abord le festival culturel, vaste démonstration des talents locaux : arrangements floraux, kimonos débordant de boucles sophistiquées, calligraphie, bas-reliefs en bois, concerts de musique traditionnelle, mais aussi tango, chorégraphies pop et comédies aux thèmes hétéroclites.
Il y a ensuite le festival de la « ville natale », où les agriculteurs de la région vendent leur récolte et les habitants orchestrent un vaste bazar où sont vendus jouets, vêtements, couteaux de cuisine et…machines à coudre. En guise de conclusion, les organisateurs lancent des petits sacs de plastique contenant des gâteaux de riz. Ça dégénère en semi-bagarre générale où grand-mères et bambins se bousculent pour attraper le plus de friandises possible.
L’inévitable festival d’automne a aussi son importance. L’attraction principale est le transport de l’omikoshi (se traduisant approximativement par « autel portatif »). Galvanisés par l’alcool, une vingtaine d’hommes trimballent ce « mini-temple » très lourd d’un endroit à l’autre dans le village, jusqu’à ce qu’ils arrivent au (véritable) temple et reçoivent la bénédiction du bonze.
Trêve de digressions descriptives. Sans avoir une parfaite maîtrise de la langue, Akiko parle assez bien anglais. Elle a constaté l’utilité de cette langue… lorsqu’elle a eu la chance de participer à un échange étudiant en Chine. Elle n’avait point de difficulté à déchiffrer les caractères chinois, mais elle n’était pas assez confiante pour essayer de s’exprimer.
L’anglais s’est révélé le trait d’union le plus simple entre les nombreux participants de cet échange. Elle est sortie de cette expérience avec une nouvelle perspective sur l’apprentissage d’une langue seconde. « On devrait avoir plus d’émissions de télé en anglais sans sous-titres. Quand c’est trop facile, on ne fait souvent pas l’effort d’apprendre. »
Finalement, ce qui rend Akiko particulièrement unique, c’est sa maîtrise de l’ironie. Plus souvent qu’autrement, cette subtilité langagière échappe à la plupart des gens. Ce n’est pas son cas. Malgré son mal de dos atroce, elle fait la suggestion suivante : « Tu devrais essayer de te coincer un nerf dans la colonne vertébrale. C’est très intéressant comme expérience. » Puis, sourire en coin et regard espiègle, elle nous a dit qu’elle a un secret à nous confier : « Je ne suis pas Japonaise. Mais non, c’est une feinte. »
N’empêche, peut-être qu’elle n’avait pas tout à fait raison…