C’est dans un décor de bars de danseuses que l’on trouve le centre de l’image contemporaine Vox, au coin des rues Sainte-Catherine et Saint-Laurent. Ce qui deviendra bientôt le Quartier des spectacles ne laisse pas encore deviner sa vocation culturelle, mais on peut tout de même se réjouir de la présence de cette galerie innovatrice, qui a pignon sur rue depuis 2004.
Tractatus Logico-Catalogicus et La Boîte verte sont présentées au centre Vox jusqu’au 13 décembre. Ces deux expositions interrogent les marges de l’œuvre d’art. Dans la première, le catalogue est à l’honneur. Habituellement considéré comme un objet de documentation et de promotion d’œuvres d’art, le catalogue acquiert ici le statut d’œuvre digne d’être exposée. C’est le catalogue de monochromes Yves peintures d’Yves Klein qui accueille les visiteurs de la galerie. Ces dix planches de couleur représentent le premier geste public de l’artiste, en 1954, et ne correspondent à aucune autre œuvre existante.
Tractatus Logico-Catalogicus réunit pour la première fois les propositions d’artistes qui réfléchissent sur le catalogue, ce livre qui façonne la perception actuelle et future des œuvres d’art. Parmi les images exposées sur les murs du centre Vox, on retrouve « Dining Case » et « Borrowed Stack », de Brandon Lattu, qui mettent en scène des bibliothèques où seuls les livres, bariolés de couleurs, prennent de l’importance. Matthew Higgs, de son côté, expose « Photo of a Book (John Currin)», l’image d’un livre couvert d’autocollants de rabais. En passant de 8 à 3 livres anglaises, le livre semble remettre en question sa place dans la société.
De manière similaire, l’artiste explore cette question dans son court métrage Video of a Book, un film hypnotisant mettant en scène la couverture noire d’un livre. Ce ne sont que quelques exemples de la tentative de revalorisation du catalogue qui est entreprise par le centre Vox, s’inspirant de Marcel Broodthaers, auteur de l’œuvre qui a donné son nom à l’exposition. Il y présente l’épreuve d’impression de douze pages de son catalogue, avec marques de coupe, ratures et corrections comprises. Cette image est intégrée à l’ensemble de sa production artistique, effaçant ainsi les limites entre l’œuvre et son support.
Avec La Boîte verte, les vitrines du Vox se remplissent d’une quantité impressionnante d’esquisses, de notes, de documents écrits de la main de Marcel Duchamp en préparation de sa « Mariée mise à nu par ses célibataires, même ». La minutie de l’artiste impressionne alors qu’on se perd dans les bouts de papier qui contiennent des notes concernant l’œuvre, allant jusqu’à faire voir au visiteur des plans à l’échelle et des précisions millimétrées sur l’épaisseur d’une cravate. Cette entreprise de Duchamp, qui a duré huit ans, s’achève avec la parution de La Boîte verte en 1954, après l’abandon du projet de « La Mariée » en 1923. Encore une fois, le support survit à l’œuvre et devient lui-même une œuvre originale.
Duchamp a voulu reconstituer ses notes aussi exactement que possible afin de préserver sa pensée. Cet immense travail permet d’éclairer son œuvre « La Mariée mise à nu par ses célibataires, même », et sert de guide à sa démarche artistique. En fouillant un peu dans les présentoirs, on peut même trouver quelques réflexions de l’auteur de « Fontaine » sur les principes du ready made ! « L’important est donc cet horlogisme, cet instantané comme un discours prononcé à l’occasion de n’importe quoi à telle heure », écrit-il. Selon lui, il faut marquer le travail artistique dans le temps, il faut inscrire cet instant sur le ready made. L’œuvre d’art devient alors, tout comme le catalogue, le témoignage d’une époque.