Nous aborderons cette semaine, fidèles lecteurs, un sujet un peu plus sérieux, un sujet qui touche de près les plus grands artistes passés et présents. Certains diront même qu’il les touche tous jusqu’à un certain point. Je parle bien sûr de la souffrance, celle qui peut mener jusqu’à la démence. Elle afflige les esprits créateurs, tout en étant une source inépuisable d’inspiration. Certains en ont été plus touchés que d’autres, certains n’ont pas réussi à passer au travers. Que ce soit en musique, au cinéma, en littérature, en peinture ou dans toute autre forme d’art, la souffrance et l’isolement flottent autour de l’artiste tel un nuage de fumée opaque, à la fois grisant et toxique.
Vous connaissez certainement le film Harold and Maude, où un jeune garçon obsédé par la mort rencontre une vieille dame pétillante de vie, qui lui fait connaître l’amour et la joie. Harold, refusant de se soumettre à la vie que cherche à lui imposer sa mère, découvre sa propre voie vers le bonheur. On peut le voir, à la fin du film, gambadant avec son banjo : « Well if you want to sing out, sing out, and if you want to be free, be free. »
Vous connaissez peut-être aussi le film Last Days du réalisateur Gus Van Sant, qui relate les derniers jours du chanteur Kurt Cobain avant son suicide. Un film très long, très pénible, presque surréaliste, où l’on voit un Cobain déchiré errer seul dans la forêt, brisé. C’est ironiquement au son de « Victoire ! Victoire ! » que se termine le film, dans une chanson chorale a cappella intitulée « La Guerre », composée au seizième siècle par le prêtre français Clément Janequin.
Imaginez maintenant un jeune garçon qui, comme Harold, est obsédé par la mort. Tout comme Harold, des parents très stricts tentent de lui imposer une vie rangée, qu’il rejette avec force. Tout ce qu’il désire dans la vie, c’est dessiner, jouer de la musique, or sa famille entière tente de l’en dissuader. Ce jeune garçon se nomme Daniel.
Daniel ne rencontrera jamais Maude. La seule fille dont il soit tombé amoureux se marie et il ne la revoit plus jamais. Daniel, que ses parents très pieux forcent à aller à l’église tous les dimanches, devient maniaco-dépressif et en vient à être de plus en plus obsédé par Satan. Malgré tout, Daniel continue à écrire de la musique et à dessiner. Sans trop savoir jouer de la guitare ou du piano, sans autre équipement qu’une simple enregistreuse, il produit une à une ses propres cassettes et les distribue autour de lui. Il se fait remarquer par Kurt Cobain, qui trouve en lui une grande source d’inspiration. Après une performance survoltée dans un stade plein à craquer, son père le ramène chez lui dans son petit avion biplace. Daniel pète les plombs. Il prend les commandes de force, éteint le moteur et lance la clé par la fenêtre. Son père parvient à faire atterrir l’avion, de peine et de misère. En chemin vers l’hôpital, ils aperçoivent une église, devant laquelle est posé l’écriteau suivant : « God promises a safe landing but not a calm voyage. »
Daniel Johnston est une légende. Je viens de visionner le documentaire The Devil and Daniel Johnston pour la deuxième fois, et j’en suis encore bouleversé. Contre vents et marées, seul et brisé, Daniel a su vivre son rêve et, plus important encore, garder espoir.