Les écrivains ont tous déjà été confrontés, à un moment ou à un autre, au même problème : le blocage, l’irréductible incapacité d’écrire. Cette impression, profondément imprégnée dans l’esprit de celui qui écrit, de n’avoir rien à dire. Avant, c’était la plume qui demeurait immobile sur la page blanche, aujourd’hui, c’est le curseur qui clignote sur l’écran. L’effet est le même : pas un mot.
Si l’on connaît bien l’angoisse de la page blanche, il semble que je sois victime de son opposé, dont on parle nettement moins : celui de la page noire. De la page noircie, griffonnée, gribouillée, hachurée, chiffonnée parfois, et puis jetée, dans un élan de désespoir. Le syndrome de la page noire, au contraire de celui de la page blanche, ne trouve pas son fondement dans l’absence d’inspiration. Au contraire, elle résulte d’un élan irrépressible qui s’empare de l’écrivain. Ce n’est pas une transe ou un état fiévreux –je m’excuse de décevoir les plus romantiques d’entre vous, qui s’accrochent à l’image de l’écrivain tourmenté– mais bien une incontrôlable envie d’écrire, de dire, de mettre en mots une foule de choses. Or, sauf si on a beaucoup, beaucoup de talent, la page noire peut s’avérer être tout aussi problématique que la pire des pannes d’écriture.
En véritable experte de la page –blanche ou noire–, j’ai pu constater que les élans de créativité littéraire donnent lieu, le plus souvent, à deux scénarios possibles. D’abord, on a le classique d’entre les classiques : la remise en question. On écrit, on écrit et puis, à la relecture, on déteste et on jette. Même les plus grands y ont été confrontés. Gribouiller des phrases pendant des heures et des heures, et se relire, quelques heures ou même quelques jours plus tard, pour en arriver au constat complètement subjectif que c’est nul, que, franchement, on n’a rien écrit de bon et que tout cela ne mérite que la poubelle. On efface tout et on recommence. Le second scénario n’est guère plus plaisant, et c’est celui de l’indomptable chaos. Vous le connaissez, il naît quand les idées se bousculent, qu’elles s’entremêlent et se confondent, au point où on finit par ne rien écrire du tout ou, si on écrit, par ne plus rien y comprendre. La frustration ressentie n’est pas exactement la même que pour la remise en question, mais elle n’en est pas moins accablante.
C’est dans ce deuxième scénario que je me suis empêtrée cette semaine. J’aurais voulu parler d’un tas de choses dans ma première chronique de l’année. Des résolutions que l’on prend mais qu’on ne respecte jamais, des renouveaux et des cercles vicieux, des soirées en famille qui enchantent ou exaspèrent, selon la famille… Mais en cours de route, j’ai tout effacé. Je ne sais pas si c’est d’entamer une nouvelle année qui me fait ça, de voir devant moi se déployer toutes sortes de possibilités, mais ma tête est un peu comme un grenier encombré. Les vieilleries des années passées s’empilent les unes par-dessus les autres et, bizarrement, je n’arrive pas à faire de la place pour du neuf.
Comme quoi il est parfois vrai que trop, c’est comme pas assez.