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Symbiose économique : la mode calquée sur l’économie

La récession du XXIe siècle et Anna Wintour de Vogue mises sur la sellette.

Si l’économie est en lambeaux, il ne faudrait pas se contenter d’en raccommoder les quelques fragiles pièces. Lumière sur les fils qui tissent la présente conjoncture économique, les échancrures qui la menacent, les budgets qui auront droit à de nombreux coups de ciseaux, et les principaux tailleurs.

Récession véritable 

Un pays connaît, théoriquement, une récession économique au moment où il enregistre un recul du produit intérieur brut pendant deux trimestres consécutifs. Ce n’est pourtant toujours pas le cas, ni au Canada, ni aux États-Unis. Une crise économique, pourtant réelle, est plus difficile à circonscrire. Tous les analystes économiques s’entendent sur le fait que nous devrions nous efforcer de sortir d’une des pires dépressions de l’Histoire.

L’impasse financière à laquelle nous faisons présentement face ne connaît assurément pas de précédents en termes de complexité, de rayonnement et d’origine. On peut toutefois rapprocher certaines de ses composantes à celles qu’ont connues d’autres époques. Ce que les grands livres d’histoire ont retenu comme première bulle spéculative menant à l’effondrement des marchés se nomme la tulipomanie, expression courante dans le jargon économique, et survint en 1637 sur le territoire des actuels Pays-Bas. On pouvait y échanger un bulbe contre rien de moins que cinq hectares de terre. Le cours des bulbes s’est élevé de façon dangereusement exponentielle, jusqu’à ce que le tout s’effondre et retrouve sa valeur économique réelle, tout en lessivant le portefeuille des ambitieux commerçants de l’époque. Un engouement aussi irrationnel pour l’esthétisme floral ne saurait suggérer l’origine véritable de la crise économique dont souffrent nos marches contemporains. Il faudra assurément chercher ailleurs.

Bien qu’il y ait de quoi débattre de l’ordre d’importance des causes ayant mené à l’éruption de la problématique conjoncture actuelle, plusieurs analystes tiennent pour responsable la crise financière des États-Unis survenue au cours de l’exercice financier du pays entre 2006 et 2007. La crise, dite des subprimes (prêts hypothécaires à risque souvent octroyés à des débiteurs peu solvables), a  d’abord meancé les banques. Ces banques qui ont, entre autres, souffert des contrats non-honorés de la part des emprunteurs, ont fait appel à l’aide gouvernementale aussi tôt qu’en automne 2007. Résultat : la première banque américaine, Bear Stearns, a échappé à la faillite en septembre dernier puisque rachetée par JPMorgan, largement subventionné par les coffres américains. Il y a ensuite eu la faillite de Lehman Brothers, cinquième banque en importance au monde. Des prêts hypothécaires trop faciles à obtenir ou des valeurs inexistantes garantissant ces prêts sont à la source de la banqueroute Des institutions financières, ce qui n’est pas sans rappeler la raison pour laquelle elles croulèrent en 1929.

Le plan Paulson de Bush, construit pour venir efficacement en aide aux banques dans le besoin, a prévu remplir les creux laissés par les emprunteurs qui ont été incapables de rembourser leur prêts. Lors de la conférence intitulée The Great Depression of the 21st Century : The Collapse of the Real Economy, Michel Chossudovsky, professeur d’économie à l’Université d’Ottawa, indiquait que cette politique contribue dangereusement à centraliser le pouvoir entre les mains des grands joueurs, et ainsi défavoriser les redevables. « L’argent du renflouage est utilisé par les géants financiers pour garantir leurs acquisitions d’entreprise à la fois dans le secteur financier et dans l’économie réelle », écrivait-il à la fin du mois de novembre. Il ignorait que moins de deux mois plus tard, le 17 janvier, l’administration américaine verserait, pour une deuxième fois depuis les trois derniers mois, plus de 20 milliards de dollars pour soulager l’achat pour le moins coûteux de Merrill Lynch par la Bank of America. Elle entendait stabiliser les marchés financiers et faire subsister la confiance envers les systèmes de crédit américains. Pourtant, est-ce de la confiance dont l’Amérique a besoin ? M. Chossudovsky craint que les bailouts ne soient pas la solution, mais bien le problème. Selon lui, un rapport malsain rapproche le secteur de l’économie réel au secteur financier. C’est essentiellement les prêts hypothécaires trop accessibles et la confiance naïve qu’on confère au système financier qui ont affaibli les banques nationales, puis les ont contraintes à mendier les fonds publics pour se remettre sur pied.

L’Islande, en réponse à une problématique analogue, a nationalisé, à la hâte, bon nombre de ses banques. La solution serait-elle exportable en Amérique ? Possiblement, à condition qu’on ne le fasse pas trop tard, l’administration américaine n’étant pas parvenue à sauvegarder le géant assureur AIG via la nationalisation partielle en septembre dernier. Vraisemblablement, les banques resteront entre les mains des créanciers.
L’administration américaine se devra pourtant de changer de tactique pour espérer trouver un dénouement à la crise actuelle. D’ailleurs, le président-élu Barack Obama a livré, en ce qui a trait au plan de relance envisagé, que Wall Street est au cœur du problème, et que le libre marché a échoué à la fois à cause des grands joueurs déloyaux et de politiques irresponsables. L’administration prévoit ainsi des investissements massifs dans les infrastructures, tout en étendant la couverture de l’assurance-santé et de l’assurance-chômage. Elle prévoit 825 milliards.

Au Nord du quarante-quatrième parallèle, on discute parallèlement d’enjeux similaires, même si notre économie est possiblement mieux parée contre les virus financiers qui menacent l’économie américaine. On propose à Ottawa, actuellement en mode « prébudgétaire », une hausse de crédit pour les banques de développement et, de façon plus significative, des programmes d’aide pour les secteurs financier et manufacturier et une amélioration substantielle des régimes de retraite. Québec requiert d’Ottawa une aide aux secteurs manufacturier et forestier, une bonification de l’assurance-emploi et un investissement massif dans les infrastructures. Ottawa, selon Jean Charest, bénéficie d’une marge de manœuvre plus importante que celle des provinces, et plus précisément que la sienne. Même si Harper a récemment affirmé que le fédéral engrangera un déficit substantiel, la réponse n’est toujours pas satisfaisante pour le Québec. Ottawa devra faire plus. Restera aussi à voir si l’exercice sera aussi consensuel dans la Chambre des Communes qu’à l’Assemblée Nationale.

Modepolisation et Anna Wintour
Qui dit récession, dit automatiquement baisse des ventes. Pourtant, si vous vous promenez sur la rue Sainte-Catherine ou dans les centres d’achat, les acheteurs ne semblent pas avoir déserté les salles d’essayage.

En fait, la mode ne s’en tient plus uniquement qu’à son propre terrain de jeu, elle a depuis longtemps envahi les milieux artistiques, et devient de plus en plus influente sur le plan politique. Magasinez un peu et vous connaîtrez les principaux enjeux sociaux actuels : un t‑shirt « J’aime Kyoto », un foulard similaire à celui que portent les résistants palestiniens, une figurine de Barack Obama, et vous voilà à l’affût des dernières nouvelles. Anna Wintour, rédactrice en chef du magazine américain Vogue, a commenté à ce sujet : « Si vous regardez n’importe quelle grande photographie de mode sortie de son contexte, elle vous en dira autant sur ce qu’il se passe dans le monde qu’un titre dans le New York Times. » La politique n’est pour elle qu’un outil de plus pour mettre la mode à l’avant-scène.

Vogue est un des –sinon le– plus prestigieux magazine de mode féminin dans le monde. Fondé en 1892, Vogue s’est toujours concentré sur la mode haut de gamme et la haute société. Caroline Weber, critique littéraire du New York Times, a écrit en décembre 2006 : « Vogue est pour notre ère ce que l’idée de Dieu a été, selon les mots de Voltaire, à son époque : s’il n’existait pas, il nous faudrait l’inventer. » Peu s’en faut pour dire que Vogue est très influent et est omniprésent dans la mode, la culture et le design.

Anna Wintour, mieux connue depuis le rôle interprété par Meryl Streep dans The Devil Wears Prada, un film paru en 2006, a pris la barre du poste de rédactrice en chef du magazine en 1988. Elle a ainsi mis fin aux années dites « beiges », jeu de mots fait sur la couleur des murs du bureau de Grace Mirabella, qui a rendu Vogue plat et sans couleur. Anna Wintour, originaire de Londres, s’est très tôt intéressée à la mode en conseillant son père, rédacteur du Evening Standard, sur ce qui était nécessaire pour inciter les jeunes des années soixante à acheter le journal. Quoiqu’elle travaille sans cesse à garder la haute réputation du magazine, Anna Wintour a tout de même su élargir son lectorat. À son entrée, elle mit la photo d’un mannequin portant une veste parée de bijoux signée Christian Lacroix et des jeans ! C’est à ce moment que les jeans ont fait leur entrée dans la haute couture. Ses prédécesseurs avaient l’habitude de ne mettre que le visage d’une femme, mais Wintour a révolutionné l’image de la mode en donnant une importance aux vêtements et au corps. Mais, depuis 2001, Vogue a changé sa ligne de tir. Les couvertures ont relégué les top models aux publicités et se concentrent sur des célébrités. La récession des revenus publicitaires a fortement agi sur ce changement de direction. La mode ne se suffit plus à elle-même, elle emprunte à l’art, au cinéma et, pourquoi pas, à la politique et au social. Vogue a toujours publié des articles sur le sport, l’art et la politique, mais ces divers domaines sont devenus un catalyseur en cette période creuse.

En avril 2008, Vogue a publié des photos de top models et de joueurs sportifs prises par la très réputée Annie Leibovitz. Sur la couverture, Gisele Bündchen, souriante, semblait molle au bras d’un LeBron James aux grandes mâchoires. Cette photographie rappelait King Kong dans son échappée avec Fay Wray.

Récemment, les parfumiers haut de gamme Viktor et Rolf lancent leur nouvelle campagne pour le parfum « Flowerbomb » : le joli visage d’un mannequin recouvert d’un voile rose rappelant les poussières qui naissent à la suite d’une explosion. De surcroît, la bouteille ressemble à une grenade, goupille incluse ! Tout pour suivre dans les actuels enjeux sociaux qui font la une.

Bref, la mode est un indicateur de la santé économique. Et les rumeurs qu’Anna Wintour est proche de la porte de sortie de Vogue indiqueraient-elles un changement dans l’économie ?


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