Il semble que l’identité atypique de McGill puisse se résumer ainsi : « Elle paraît étrangère, même si elle est située au Québec. » Ces termes de Jean-Christian Lemay, en deuxième année d’un bac en physique, sont probablement partagés par beaucoup. Le choix d’étudier à McGill implique-t-il d’entrer en terre étrangère au sein même du Québec ? De se mettre sur la défensive ? Pourquoi choisir McGill plutôt que l’Université de Montréal ou l’UQÀM ? À en croire quelques étudiants ayant fait le choix de poursuivre leurs études supérieures dans ce bastion anglophone, McGill n’est pas le lieu d’une dissolution de l’identité québécoise, mais bien souvent d’une identité culturelle qui se renforce par l’ouverture.
Pourtant, le McGill Tribune publiait en octobre 2007 un article intitulé « Quebec’s Apartheid Politics », dans lequel la langue québécoise était décrite comme une variante abâtardie du français européen, et la culture québécoise assimilée à Céline Dion et aux Boys. Bien qu’elle ne soit nullement représentative, cette opinion avait poussé certains étudiants à porter plainte contre l’association étudiante. L’anecdote rappelle que McGill demeure un lieu où la culture québécoise, loin d’être dorlotée en toute complaisance, est souvent confrontée à de vives critiques.
Vendre son âme au diable ?
Être un « vendu », c’est une accusation que les Québécois de McGill entendent parfois, sur un demi-ton de blague. Philip O’Shaughnessy, étudiant en troisième année en Systèmes Urbains, admet faire face à l’incompréhension de quelques Québécois. « Dans le regard de certains Québécois, j’ai laissé derrière moi mon identité. Pour eux, c’est se vendre. Pour moi c’est confronter ma vision du Québec pour qu’en triomphe ce qu’il y a de plus unificateur. » Zoé Gagnon-Paquin, étudiante en dernière année de philosophie, affirme que « les Québécois, dans leur ensemble, trouvent que ce n’est pas naturel », et ajoute : « Durant ma première année, il fallait que je me justifie auprès de mes connaissances à Québec, d’où je viens. »
Les idées politiques et nationales sont un facteur qui exacerbe la confrontation. « Si l’on est souverainiste et Québécois, et que l’on vient à McGill, on se sent sur la défensive presque automatiquement », affirme Zoé Gagnon-Paquin. D’un autre côté, rappelant que James McGill était un des premiers marchands écossais à venir prendre le territoire économique qui avait été perdu par les Québécois francophones, O’Shaughnessy évoque la colère que suscite encore le nom des édifices de l’université, tels Redpath ou Molson. « Déjà, en partant, quand tu dis t’appeler Philip O’Shaughnessy et être nationaliste, tu fais rire de toi souvent. Dans l’esprit des Québécois, il faut que tu sois Philippe l’Abbé Trottier, que tu t’habilles en chemise à carreaux et que tu ailles à l’UQÀM pour être souverainiste. Si tu n’es pas là, tu fais partie de la vieille conception de Montréal. Je ne dis pas que je viens de McGill quand je suis avec des francophones. Il suffit de dire ‘McGill’ pour voir leur visage changer, ils changent de sujet ou s’en vont ailleurs. »
Même son de cloche de la part de Marie-Ève Mercier : « C’est sûr que ça [aller à McGill] m’a ouvert les yeux à d’autres choses, mais je ne sais plus ce que les jeunes Québécois aiment vraiment, en ce sens j’ai un peu perdu contact. Les Québécois sont très nombrilistes. L’ouverture sur le monde que j’ai gagnée à McGill n’est peut-être pas aussi omniprésente dans les autres universités. »
Sortir de la complaisance et se redéfinir
Venir à McGill ne veut pas dire pour autant que l’on prend le risque de « s’oublier ». Au contraire, « venir à McGill te force à mieux redéfinir ton identité en tant que Québécois francophone,» nous dit Julie Rousseau, détentrice d’un baccalauréat en sciences de McGill. « Je pense que c’est surtout un atout, parce qu’on a eu à se poser des questions », ajoute-t-elle. Cela dit, venir à McGill implique de s’exposer à un changement auquel on ne s’attend pas. C’est du moins ce que suggère Julie : « De l’extérieur, on ne réalise pas à quel point il y a une différence à venir à McGill, par rapport à aller à l’UQÀM ou à Laval, au niveau de la langue ou de la façon d’enseigner. »
Certains préfèrent souligner que McGill offre un environnement flexible. C’est le cas d’Amélie, originaire du Saguenay, qui a décidé de venir à McGill parce qu’y est offert le seul bac en environnement qui se donne au Québec. « Je ne pense pas, dit-elle, que je perds mon identité de Québécoise, parce que je me sens libre de parler en français et de rendre mes travaux en français quand ça me dit. C’est un défi, mais aussi un atout : tu sors de ton baccalauréat et tu es bilingue. »
Venir à McGill pour le bilinguisme peut cependant parfois avoir ses contrecoups. Pour Marie-Ève Mercier, étudiante en géographie, « le prix à payer a été une perte considérable au niveau de la qualité de [s]on français. » « Je n’ai pas perdu ma culture québécoise, j’ai seulement fait un compromis temporaire au niveau de la langue. Ce n’est pas quelque chose que j’ai perdu ; c’est la seule chose que je n’ai pas gagnée. »
Les anglophones
Ayant vécu à Longueuil et originaire de la très francophone Verchères-Les-Patriotes, O’Shaughnessy a pu côtoyer à McGill une part significative de l’identité québécoise que l’on a tendance à vouloir oublier : les anglophones. « Rester à l’UQÀM, en un sens, c’est complaisant », affirme-t-il. « J’ai réalisé que les anglophones que l’on haïssait sont partis depuis longtemps, la plupart étant partis entre les deux référendums. Ne sont restés que ceux qui aiment le fait français et qui, finalement, se font plus tasser dans un coin par les francophones [que l’inverse].»
Si l’ouverture est unanimement évoquée par les étudiants comme un atout offert par McGill, dans un Québec bien souvent décrit comme « nombriliste », il n’est pas rare que l’on déplore, en revanche, le manque d’ouverture de certains « anglos ». Amélie avoue regretter « le manque d’effort de certains anglophones pour établir des contacts avec la communauté francophone. Si tu vas dans un autre pays ou une autre province, c’est pour découvrir et pour cette raison, à McGill, c’est un peu triste que les gens aillent se cacher dans le ghetto. »
En somme, il semble qu’à être à McGill, il y ait des choses que l’on laisse derrière soi. Pour Zoé Gagnon-Paquin, « ce ne sont pas des choses que l’on avait. On n’abandonne rien. Mais on a renoncé à la vitalité pleine de nos années d’étudiants. On n’a pas autant rigolé que si on avait été parmi les nôtres et qu’on n’avait pas eu besoin de faire un retour sur soi pour comprendre comment on réagissait avec les gens parce qu’ils étaient différents. »