Chanter du karaoké en français, ça signifie de prime abord apprécier sa propre ringardise. Il faut dire que le bref flirt du Japon avec la chanson française date du siècle dernier, plus précisément de l’époque d’Édith Piaf, Yves Montand et compagnie. Si vous recherchez un registre plus moderne, c’est Céline Dion ou rien du tout.
Néanmoins, le karaoké (qui signifie littéralement « orchestre vide », en référence au côté factice de la performance) est une expérience qui devrait être essayée au moins une fois. Ce passe-temps de choix, qu’on peut accompagner d’alcool, a l’avantage d’être le plus souvent pratiqué dans une cabine à l’abri des oreilles et des regards étrangers. En compagnie plus grivoise, on préférera le snack-bar, minuscule établissement tenu par une mama-san et quelques charmantes demoiselles offrant compagnie et conversation.
L’activité permet notamment d’acquérir un tout autre regard sur la perspective qu’ont bien des gens à propos des étrangers. J’ai appris que j’étais supposé pouvoir chanter spontanément mon hymne national, et aussi détenir la science infuse de la discographie entière des Beatles. Lorsque Michiko, professeur de japonais et chanteuse exceptionnelle, a appris que je ne connaissais pas le répertoire complet de la Mélodie du bonheur, sa déception a été telle qu’elle n’a guère pu s’empêcher de me taper dessus.
Dans un autre ordre d’idées, essayer le karaoké permet d’admirer les diverses vidéos qui accompagnent les chansons. Les vidéoclips officiels sont rarissimes et c’est normalement une production de qualité amateur qui complète l’instrumentation approximative. Trouver un lien logique entre la thématique d’une chanson et la vidéo d’accompagnement relève de l’exploit mental.
Pour prendre un exemple bien innocent, la chanson thème du film Ghostbusters est complétée d’un chef‑d’œuvre d’hilarité vidéo. Une poignée de danseurs, dont les pantalons dangereusement amples ne sont pas sans rappeler la glorieuse époque de MC Hammer (« U Can’t Touch This »), se déchaînent au sommet d’un gratte-ciel d’une ville quelconque.
En cas de manque d’inspiration, la solution est simple : il suffit d’une compilation pêle-mêle de vidéos de vacances tournés ici et là en Europe ou aux États-Unis. Qu’importe si les paroles évoquent la Californie, une vidéo tournée dans un bus touristique à New York fait aussi bien l’affaire…
De ce que j’ai pu comprendre des conversations avec mes collègues de travail, les relations entretenues avec le monde du vice sont plutôt raisonnables. Les gens qui boivent quotidiennement s’en tiennent sagement à une consommation. Si bien des gens fument comme des cheminées (j’ai vu des urinoirs avec des cendriers…), rares sont ceux qui s’aventurent au-delà des frontières légales.
De fait, c’est envers le divertissement que je remarque le plus de tolérance. Si un élève est en train de lire un manga ou un roman en plein cours, il ne sera pas cible de sanction disciplinaire. Même dans les coins les plus isolés, on finit par dénicher un pavillon de Pachinko, sorte d’équivalent bruyant des vidéo poker et autres machines à sous au Québec. Et, lorsqu’on saisit le micro pour interpréter le dernier tube ou un vieux classique, sur un arrière-plan d’exotisme ou d’exultation, on s’enferme dans le rêve vide et l’on oublie les tracas du quotidien.