« McGill ne peut rester insensible à ce qui est un sérieux déclin des perspectives économiques du monde, de l’Amérique du Nord et du Québec », lance le professeur Anthony C. Masi, doyen de l’Université McGill, lors d’un entretien destiné à discuter des mesures que l’université compte prendre pour faire face aux crises économique et financière. La crise qui frappe les bourses à travers la planète vient s’immiscer dans la poche de l’université pour faire un trou dans sa bourse. Et les sous semblent tomber un à un.
D’entrée de jeu, M. Masi annonce que « nous anticipons des pertes dans nos revenus cette année ». Après avoir dressé un bilan de la situation financière actuelle, M. Masi prévient que les politiques de cette année seront plus austères que celles des années précédentes. « Depuis le début de mon mandat [en décembre 2005], j’ai toujours eu le plaisir de présenter un bilan dont les revenus augmentent, mais cette année j’avoue ne pas en être certain », note-t-il. Et c’est cette incertitude que craint M. Masi, « d’où le besoin de créer un taskforce, afin de réévaluer les perspectives et les priorités. C’est tout le sens d’un plan de relance en cas de crise », explique-t-il.
La situation financière n’aidant pas à la tâche, M. Masi assure que le taskforce lui permettra de faire des épargnes dans certains secteurs pour éviter de faire des coupures de budget dans d’autres. Il avoue que « des erreurs ont été commises dans les années quatre-vingt-dix, en voulant couper de façon uniforme le budget de tous les secteurs, en particulier dans le budget des infrastructures. » M. Masi prend l’exemple de la bibliothèque Redpath, indiquant qu’il a fallu six ans d’investissements et d’efforts constants pour revenir au deuxième rang des bibliothèques nationales, « largement derrière la première. » Mais il se veut rassurant : « McGill fait de merveilleux projets avec si peu d’argent ! », s’enthousiasme-t-il.
Aujourd’hui, l’Université McGill tente plus que jamais de fusionner les subventions de l’État et les revenus provenant des frais de scolarité – ainsi que les subventions provinciales qui les accompagnent. C’est en jongleur que M. Masi semble devoir travailler en ces temps de crise. D’un côté, les subventions fédérales vont principalement financer les recherches, dont la plupart sont allouées aux étudiants des cycles supérieurs. De l’autre côté, les subventions provinciales sont attribuées aux facultés en fonction de la quantité d’étudiants qui les fréquentent. « Il est impossible de continuer à être une université de premier rang dans une province qui empêche l’augmentation des frais de scolarité », raconte-t-il, poursuivant que « le gouvernement fédéral a annoncé une réduction des subventions pour la recherche ».
En ces temps difficiles, M. Masi dit vouloir offrir le plus d’aide possible aux étudiants en difficulté financière. « Pour chaque dollar d’augmentation de frais de scolarité, trente cents nets seront versés à l’aide financière pour garantir l’accès de ceux et celles qui n’en ont pas les moyens », explique-t-il. Il estime qu’«en général, nos frais de scolarité sont trop faibles par rapport à la qualité de l’éducation que nous voulons offrir et par rapport aux attentes de nos étudiants. » D’après lui, l’université étant sous-subventionnée et ayant des frais de scolarité trop faibles, « la chose la plus difficile à faire est de doter nos étudiants d’aide financière. D’où l’argent est-il supposé venir ? », se demande-t-il. M. Masi s’interroge aussi sur le fait que le Québec enregistre l’un des taux d’inscription les plus bas, alors que la province a des frais de scolarité inférieurs à la moyenne nord-américaine. Certains projets visant à réaménager le campus ont été mis de côté à cause de la situation financière actuelle. M. Masi raconte que « certains projets peuvent vous [les étudiants] sembler peu sexy », comme ceux qui ont lieu actuellement en face des bâtiments Brown et James. M. Masi raconte qu’un tunnel fut jadis construit entre les bâtiments MacDonald et Ferrier. À travers ce tunnel sont acheminés des réseaux électriques, de chauffage et de téléphone notamment. « Ce tunnel aurait besoin de réparations dont le coût pourrait bien s’élever à dix millions de dollars, peut-être plus. Mais cela signifierait deux étés de travaux et des perturbations majeures sur le campus. Et si le tunnel venait à s’effondrer, 40 p. cent du campus se retrouverait sans électricité, ni chauffage, ni téléphone », explique-t-il. D’autres projets sont en attente, comme celui visant à rénover les laboratoires, et qui « sont des projets visibles et qui vous sont importants », ajoute-t-il. M. Masi avoue qu’il « adorerait voir la construction d’un nouvel édifice pour y installer des laboratoires. »
Face aux maigres revenus anticipés pour cette année, M. Masi dit faire pression sur le gouvernement provincial pour que celui-ci comprenne l’impact qu’a le changement de montants alloués à chaque faculté sur le budget annuel de l’université. Il dit aussi essayer de conscientiser le gouvernement provincial à la position unique qu’occupe l’Université McGill par rapport au nombre d’étudiants internationaux qu’elle compte. « Une partie des charges scolaires de ces étudiants est versée au gouvernement [provincial], et c’est ce même argent qui circule dans le système » pour financer d’autres universités. M. Masi demande à ce que l’université garde une plus grande partie de ces charges pour pouvoir continuer à rivaliser avec les universités nord-américaines.
« Le peu d’argent que nous avons est choquant », s’alarme M. Masi. « Nous allons devoir non seulement couper dans la graisse, mais aussi dans l’os », dit-il. En ces temps de rigueur, la politique budgétaire s’annonce frugale. Il reprend en martelant que « tout ce que nous faisons coûte de l’argent, there is no such thing as a free lunch. » Et à la table de discussion, il n’y avait pas de vin (un Masi par exemple), mais de l’eau.