Toujours à l’affût de l’information la plus novatrice, je guette avec un soin que vous devinez irréprochable les dernières nouvelles relayées par ces sources sûres que sont les sites Internet de MSN et de Hotmail. C’est ainsi que j’ai découvert les résultats d’une étude absolument révolutionnaire, pourtant presque passée sous silence, sans aucun doute en raison d’une conspiration du silence imposée par les magnats de l’industrie musicale. N’ayez crainte : j’ai su déjouer cette omerta. Le propos de l’étude est sidérant : grâce aux recherches exhaustives d’un étudiant au doctorat américain, il aurait été scientifiquement démontré que les admirateurs de Beyoncé disposent d’une intelligence inférieure à la moyenne. Ceux qui préfèrent se délasser à grands coups de Beethoven seraient au contraire de petits génies en herbe.
La méthodologie était simple : comparer les préférences musicales d’étudiants avec les résultats obtenus par ceux-ci lors des tests de classement du SAT, ces tests obligatoires pour toute personne désirant entrer à l’université aux États-Unis. Le chercheur a observé que les amateurs de musique urbaine ou populaire réussissaient moins bien que leurs confrères affichant une préférence marquée pour la musique classique ou le rock alternatif, tel celui de Radiohead. D’où la conclusion logique : le public de Beyoncé est composé d’imbéciles. Ma surprise fut mitigée.
Je me suis d’abord réjouie de cette étude qui confirmait ce que la vie m’avait déjà chargée d’apprendre : mon cerveau si rare mérite de tremper dans le formol pour l’éternité. Mes goûts musicaux correspondaient en tout point à ceux de l’élite intellectuelle. Toutefois, dotée d’une capacité d’analyse hors pair, j’ai dû admettre qu’une faille subsistait dans mon raisonnement. Où était Britney, ma Britney dans tout ça ? Une intuition toute féminine me laissait à penser que Mme Spears ne se trouvait probablement pas aux côtés de Mozart dans ce panthéon. Quels auraient alors été mes propres résultats aux SAT ? Une vague inquiétude m’a saisie. Et puis mes idées d’antan sur la lutte des classes – qui n’a pas un passé de sympathisant anarchiste dans son placard ? – sont venues me rassurer.
Comme tous les tests destinés à établir une hiérarchie, les SAT sont créés pour favoriser la réussite de la classe dominante. En cela, ils concèdent forcément un avantage à ceux qui, dès leur plus jeune âge, ont été stimulés à grands coups de cours de violon, de mathématiques et de cantonnais à chaque fin de semaine. Les SAT ne sont pas simplement des tests d’intelligence, ils sont surtout des tests de connaissance, faits pour valider le parcours d’étudiants baignant dans la haute culture dès leur berceau, forcément beaux, jeunes et branchés. Les gens qui réussissent le mieux ces tests sont rarement issus des ghettos de Detroit. Il est par la suite facile pour cette progéniture, gavée de la culture des riches, de se moquer des goûts douteux des enfants des quartiers défavorisés. Qui sait si Lénine, ressuscité, n’aurait pas réclamé un duo avec Lil’ Wayne pour montrer sa solidarité envers les prolétaires du monde entier, écrasés par la domination intellectuelle injuste de Beethoven ?
Je persiste et signe : Britney Spears, figure révolutionnaire ? Oh que si…