Je n’ai jamais compris comment fonctionne le désir. Comment et pourquoi, un beau jour, rencontre-t-on une personne qui nous fait des feux d’artifices dans le cœur, dans la tête et sous la peau ? Pour beaucoup, tout cela revêt un caractère énigmatique, qu’on a depuis toujours tenté d’élucider. Mais ce phénomène physiologique étrange, qui provoque des bouffées de chaleur et embrouille les pensées, est-il rationnellement explicable ? Certains disent que c’est purement physique, d’autres que c’est intellectuel. D’autres encore prétendent que ce n’est qu’une histoire de phéromones. Mais n’est-ce pas plus que ça ? Il va sans dire que le désir est une notion des plus complexes. Ce qui est sexy ou attirant aux yeux d’une personne peut très bien ne pas l’être pour une autre, et c’est là que réside tout le mystère. Si le désir était scientifiquement calculable, on pourrait établir des normes, des constantes et des règles. Or, ce n’est pas le cas : impossible de définir objectivement les paramètres du désir.
Durant cette dernière année passée à me démener entre les pages du Délit, j’ai suivi de près l’actualité culturelle, j’ai lu et relu chacune des critiques des collaborateurs et me suis intéressée à plusieurs œuvres issues de tous les médias de la création artistique. Mais au milieu de tout cela, une question s’est imposée à moi, une question fondamentale qui fera l’objet de cette dernière chronique : le désir et la séduction ne sont-ils pas l’essence même de la création artistique ?
Que ce soit dans l’érotisme coloré des films d’Almodóvar ou dans les paroles d’une sensualité explicite mais pourtant discrète de « Savoure le rouge » d’Indochine, le désir joue un rôle décisif. Et c’est souvent le cas lorsqu’il est question d’art : depuis toujours, on l’écrit, on le peint, on le chante… Il n’est toutefois pas uniquement question d’évoquer le désir et de l’exprimer, mais également de le susciter. C’est là qu’est la clé. Dumas, un auteur-compositeur-interprète de chez nous, chantait sur son album Le cours des jours : « Le désir comme tel n’a rien d’intellectuel. » Il ne pouvait pas, je crois, viser plus juste. Et cela est particulièrement vrai en ce qui a trait à l’expression artistique, qu’il soit question de musique, de cinéma, d’art visuel ou de littérature. Contrairement à une vision un peu bourgeoise de l’art que plusieurs s’acharnent à faire vivre, la culture n’est pas un univers intellectuel à part, dont l’accès est réservé à quelques élus. Au risque d’en décevoir quelques-uns, tout cela n’a rien à voir avec l’intellect. C’est avant tout une histoire d’émotions, de sentiments, de désir.
Dans la grande entreprise de séduction qu’est l’art, ce qui importe, au fond, n’est-ce pas le sentiment, diffus mais pourtant bien réel, que l’on ressent à l’écoute d’une pièce musicale, d’un film, ou à la lecture d’une page ? C’est ce sentiment qui détermine notre amour pour tel ou tel objet créatif et qui fait que, séduits par une image, un son ou un mot, nous tombons amoureux. Tous les désirs ne mènent pas au grand amour, mais il est si doux, en art comme ailleurs, de se laisser séduire…