Le Délit (LD) : Qu’est-ce que le FAS ?
Antoine Ross-Trempe (ART) : F‑A-S, c’est un acronyme pour le Front d’action stupide, qui est un groupuscule révolutionnaire et imaginaire qui revendique un quotidien délirant. C’est un groupuscule qui est parti un bloguscule dans lequel plusieurs personnes écrivent, donc c’est un collectif d’écriture. Je dirais qu’il y a environ une quinzaine d’auteurs qui participent régulièrement, plus ceux qui gravitent autour de façon sporadique. Le blogue existe depuis bientôt six ans. Disons qu’il a pris plusieurs formes, mais en gros ça fait six ans.
LD : À quel moment avez-vous décidé de publier ?
ART : Il y a quelque chose de le fun dans le blogue : le côté instantané, très collé sur l’actualité et le présent, mais aussi [le fait que] ça génère beaucoup de textes. Certains très écrits, des nouvelles, des parodies, ou des satires de discours qu’on entend beaucoup : autofiction, club de rencontres, roman policier, traités scientifiques… À travers toutes ces entrées, il y en a qui ont une seule ligne, une phrase, une réflexion, d’autres qui sont plus étoffés. On a voulu prendre la crème de la crème pour la publication. On a décidé il y a dix-huit mois de faire des démarches auprès des maisons d’édition pour voir s’il y avait un intérêt.
LD : Vous vous êtes beaucoup impliqué dans la publication ?
ART : Il y avait un comité de rédaction, composé d’auteurs, de photographes, de graphistes, parce qu’il y a des dessins dans le livre, de l’art. Donc on se réunissait et on a fait un premier tri : on avait au-dessus de 2500 entrées. On parle d’entrées qui peuvent aller de une ligne à cinq pages, des photos, des dessins… beaucoup de matériel. Il a fallu faire un choix, et ce choix ne s’est pas fait sans mal. Ç’a été assez douloureux, ç’a été long et parfois difficile, ç’a été un bel exercice de démocratie. Mais on est arrivé avec une sélection de textes, qu’on a regroupés en voulant que les livres fassent du sens en eux-mêmes.
LD : Pourquoi trois tomes ?
ART : On a voulu faire des tomes thématiques. Par exemple, le premier tome, Le Quotidien délirant, c’est à la fois l’objectif, la raison d’être, le leitmotiv, et le modus operandi du Front d’action stupide. Donc ça s’imposait. On a regroupé à l’intérieur de chaque tome les différents textes en chapitres.
LD : Par exemple ?
ART : Les chapitres du Quotidien délirant sont « Non-apprivoisable non-domesticable », « Manger pour “vivre’’», « Il y a des humains partout », « Probable mais dégage ». Chaque chapitre contient des textes ayant parfois des liens entre eux. Ce sont des chapitres conçus pour que le livre fasse du sens pour quelqu’un qui n’a jamais mis les pieds sur le blogue. Par exemple, il y a une catégorie spécifiquement désignée pour les parodies d’autofiction, une autre pour les parodies de nouvelles journalistiques [Intoxicated Press]. Et donc chaque catégorie a ses contraintes : il y a par exemple une catégorie qui s’appelle « Triviale poésie », qui force les auteurs à respecter quatre conditions. Il ne faut pas utiliser les thèmes classiques de la poésie : l’amour, la mort, le divin et la liberté.
LD : On sort des sentiers battus ici !
ART : Oui, et on essaie aussi de forcer, de se donner une contrainte de style pour provoquer l’écriture. On s’est rendu compte que plus on met de contraintes, plus ça force les gens à écrire. Les gens s’écrient : « Ah, on va voir ». Par exemple, il y a une catégorie qui est une lettre, ça s’appelle « L’improbable missive ». Ça doit être une lettre entre deux personnes qui ne peuvent pas s’être écrit, ça peut être une lettre entre Jean-Paul II et Newton, des personnages de fiction, comme Sherlock Holmes, et Mère Teresa. Ces contraintes-là donnent un côté intéressant.
LD : Le troisième livre a été lancé récemment, donc le livre sera disponible dans toutes les bonnes librairies ?
ART : Oui, c’était au Divan orange le 26 mars, mais le journal ne sera pas encore publié. Mais le livre est déjà disponible.
LD : Je vois que sur la couverture, il y a des activistes du FAS qui sont déguisés, mais finalement ça reste très personnel, comme format…
ART : C’est à la fois personnel et anonyme, parce que tous les auteurs écrivent sous des pseudonymes.
LD : C’est quoi votre pseudonyme ?
ART : Merci de poser la question, je ne répondrai pas. [L’utilisation de pseudonymes] donne au groupuscule un côté à la fois très groundé et un peu aussi burlesque et théâtral. C’est facile de deviner pourquoi les gens écrivent sous des pseudonymes : c’est que la personne a plus de liberté, disons, de prendre des positions qui ne seraient pas nécessairement… Bref on a tous des jobs.
LD : Oui, et des vies à vivre.
ART : Et des vies qu’on veut pas, évidemment, perdre.
LD : Et ceux qui y tiennent moins ont des pseudonymes qui ressemblent plus à leurs noms.
ART : (Rires) C’est ça… C’est comme une esthétique qui est pseudo-anarchiste et fictivement révolutionnaire. On peut vraiment faire de la création… Il y a quelque chose qui est bien dans l’idée du blogue, c’est qu’il y a une dynamique qui se crée, et donc dans les livres on a essayé de refaire, de recréer le côté vivant du blogue. Dans le blogue, il y a quelqu’un qui fait un article et il y a plein de personnes qui commentent. Donc on a intégré les commentaires à la fin des articles, qui parfois amènent le texte complètement ailleurs et qui font des liens entre les textes. Un lecteur qui n’a jamais été sur le blogue peut très bien comprendre c’était quoi l’enjeu, qu’est-ce que c’était le débat au moment où l’article a été écrit. Tous les articles sont datés, mais ne sont pas classés chronologiquement.
LD : Les familiers du blogue savent que si on voulait en commencer la lecture du début, il faudrait au moins, je ne sais pas, quinze tomes ?
ART : Oui, il y a tellement de matière que ça devient difficile pour une personne qui arrive de s’y retrouver, mais le livre c’est vraiment un bon moyen d’apprivoiser la bestiole.
LD : Ça permet, finalement, une prise de contact…
ART : Et comme c’est un groupe décentralisé et volontaire, tout le monde peut devenir un auteur du FAS, peut commenter sur le blogue et éventuellement peut être publié.
LD : Est-ce qu’il arrive de voir apparaître des blogueurs complètement inconnus ?
ART : Oui, même si nous on a décidé par notre propre initiative de publier, on peut s’imaginer des gens qui, dans un autre pays, pourraient eux aussi, comme auteurs, publier un livre du Front d’action stupide.
LD : Est-ce qu’il y a des auteurs sur le blogue dont le pseudonyme réapparait fréquemment et dont les auteurs du comité d’édition ignorent l’identité ?
ART : Oui, oui, oui ! On a en a une en particulier, enfin on suppose que c’est une femme mais on est loin d’être sûrs, qui s’appelle « Fardoche », dont un des textes paraît, je crois que c’est dans le tome 2. On a eu beau essayé de retrouver cette personne-là, ça n’a pas marché. La personne est publiée, elle est peut-être même décédée, elle peut même ne jamais avoir existé et c’est un autre auteur qui a écrit sous son pseudonyme… En fait, à la limite, ça pourrait être juste une personne qui écrit sur le FAS, mais ce n’est pas le cas.
LD : Non bien sûr, comme on peut le constater sur votre couverture, les activistes sont nombreux… D’ailleurs, où peut-on se procurer les annales du FAS ?
ART : Les livres sont en librairie et il ne faut pas hésiter à les commander, parce que évidemment le premier tirage, c’est 800 copies de chaque tome. C’est possible que dans certaines librairies au Québec il n’y en ait pas en stock, mais n’hésitez pas à les commander.
LD : Mais j’imagine qu’on attend déjà un nouveau tirage…
ART : Un nouveau tirage et, qui sait, un quatrième tome…
LD : Un quatrième tome ?
ART : Même.
LD : Ah oui ?
ART : Même.
LD : Wow.
ART : On sait pas.
Pour en savoir davantage et jeter un œil aux créations du FAS, rendez-vous au frontdactionstrupide.net