Depuis plus de soixante ans, le conflit israélo-palestinien met en péril les droits humains des civils des deux nations. Alors qu’Israël accuse le Hamas de menacer la sécurité de ses citoyens, les Palestiniens réclament les terres, les ressources et l’eau dont ils ont été privés à la suite de l’expansion des colonies de l’état hébreu. La situation des droits de l’homme en territoire palestinien est particulièrement complexe : les droits des civils sont menacés non seulement par des autorités étrangères, mais aussi par des groupes politiques locaux, le Fatah et le Hamas. Vendredi dernier, Bassem Eid, journaliste et activiste palestinien, fondateur et directeur du Palestinian Human Rights Monitoring Group (PHRMG), était de passage à la Faculté de droit de McGill pour discuter de son travail de protection des droits de l’homme en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et dans Jérusalem-Est.
Avant de diriger le PHRMG, Eid a travaillé pour B’Tselem, le Centre d’information israélien pour les droits de la personne dans les territoires occupés, et ce, de 1989 à 1996. Son travail consistait alors à repérer les abus faits envers les Palestiniens par les autorités israéliennes pendant la première Intifada. C’est en 1993 qu’a lieu la signature des accords d’Oslo par Yitzhak Rabin, le premier ministre israélien, Yasser Arafat, dirigeant du Fatah et de l’Organisation de libération de la Palestine, et Bill Clinton, alors président des États-Unis. Bien des gens croient à ce moment à l’amélioration des conditions de vie des Palestiniens, mais Eid demeure sceptique : une simple signature n’assure pas qu’on accorde la préséance au respect des droits humains fondamentaux. L’accord de Jéricho-Gaza, signé en mai 1994, permet enfin la création de l’Autorité Palestinienne avec Arafat comme dirigeant, puis comme premier président élu, de 1996 à 2004. Bassem Eid scrute d’ailleurs de près l’attention médiatique accordée à ces premières élections, mais son attention est rapidement tournée vers de nouveaux cas de torture et d’agression dans les prisons palestiniennes, des cas que B’Tselem choisit d’ignorer. Le gouvernement Arafat ne voit pas d’un bon œil cet activiste palestinien qui œuvre dans un centre de recherche israélien et qui dénonce les méfaits de son gouvernement : Eid est accusé de collaborer avec les autorités israéliennes.
En 1996, Eid préfère quitter B’Tselem pour créer le PHRMG, un centre de recherche palestinien. Mais « dans les pays arabes, créer une nouvelle organisation veillant au respect des droits humains, c’est un peu comme commettre un suicide », explique l’activiste. Dans une entrevue avec le McGill Reporter en 1996, un Bassem Eid alors en situation précaire disait : « Je crois que la dignité est plus importante que l’indépendance. Je crois que l’Autorité Palestinienne est notre avenir, mais elle doit respecter les droits humains inconditionnellement. Il y a résistance face au processus de paix, car l’Autorité ne respecte pas les droits du peuple. » La même année, alors qu’Eid fait une entrevue à la radio, il est arrêté sous les ordres d’Arafat. Des protestations massives des médias internationaux font en sorte que cette arrestation ne dure que 25 heures. « J’ai été très chanceux », affirme le journaliste. Cette incarcération ne décourage cependant pas Eid.
Jusqu’en 2000, le PHRMG surveille les actions des principales factions politiques palestiniennes, le Fatah et le Hamas. Le groupe publie six rapports par an sur des violations spécifiques des droits de l’homme faites en territoire palestinien, notamment la torture, la peine capitale, l’assassinat de collaborateurs soupçonnés, les incarcérations injustifiées et les crimes d’honneur. Ces rapports sont publiés en arabe, avec un tirage à 25 000 exemplaires, dont 15 000 sont distribués dans la bande de Gaza. Des organismes internationaux, tels Amnistie Internationale, dépendent aussi de ces documents pour se renseigner. Lorsque débute la seconde Intifada, le travail du PHRMG redouble. Les assassinats de personnages politiques importants, les démolitions de maisons et de bâtiments publics, et les meurtres de civils se multiplient. Pour Eid, le XXIe siècle devait être un siècle de progrès, de paix et de respect des droits de l’homme, mais tout a dégénéré : il y a eu le début de la seconde Intifada, puis les attaques du 11 septembre 2001 ; attaques qui ont mis le mot « terroriste » sur toutes les lèvres et la guerre à tous les agendas.
Eid croit qu’Arafat a été inefficace et intransigeant dans ses négociations avec Israël et qu’à cause de cela, l’histoire de la Palestine est une histoire d’opportunités perdues et de perpétuation du cycle de la violence et du non-respect des droits humains. La situation aurait empiré avec l’arrivée au pouvoir de Mahmoud Abbas : « C’est une personne faible. Pour moi, il ne sera jamais un leader ; il ne sera jamais un président. Il ne fait absolument rien », déplore l’activiste. Ami des Américains et d’Israël, Abbas se laisse entraîner dans des négociations bidon par Ehoud Olmert : « Ce dernier relâche des prisonniers palestiniens durant les négociations, mais en arrête quatre fois plus ensuite », s’exclame Eid. Selon le journaliste, le meilleur leader potentiel des Palestiniens serait Marouane Barghouti, militaire et homme politique rattaché au Fatah et emprisonné en Israël à perpétuité depuis 2002. Ni Israël, ni Abbas ne veulent sa libération. Pendant ce temps, au lieu de bâtir des infrastructures et une économie viable pour un peuple sans ressources, le Hamas fabrique des bombes et nuit à la sécurité des Palestiniens : dans la bande de Gaza, ces derniers subissent les ripostes incendiaires d’Israël ; sur le plan international, les Arabes, et plus particulièrement les Palestiniens, sont de plus en plus mal vus, de plus en plus associés à la violence et au terrorisme. Les Palestiniens sont aussi très divisés, entre Gaza et la Cisjordanie, entre le Hamas et le Fatah. « Jusqu’à ce que nous soyons unis, jusqu’à ce que nous ayons de nouvelles élections et un nouveau gouvernement, il sera impossible de faire face au problème [du mépris des droits humains] concrètement », soutient Eid.
En ce moment, 70 p. cent des réfugiés de la diaspora palestinienne ne croient même pas à leur droit de retour sur leurs terres, du moins pas en territoire israélien. Cependant, le droit de retour des réfugiés doit rester la carte principale dans les négociations avec Israël : sans l’obtention de plus de terres, les réfugiés ne peuvent être rapatriés. Le second problème à régler selon Eid est le manque d’eau qui afflige les Palestiniens. « La paix [et] l’échange entre les pays rendrait la survie plus facile. Nous ne voulons pas d’états fermés, comme l’Allemagne de l’Ouest. Nous voulons des états, mais avec des frontières ouvertes, de la bonne volonté des deux côtés », explique Eid. L’activiste dit compter sur l’influence des États-Unis pour parvenir à cette paix. « Les États-Unis sont si puissants dans le monde ; ils devraient cesser leur hypocrisie et faire preuve d’impartialité. S’ils veulent vraiment un état palestinien, qu’ils fassent en sorte que cela se produise ! », s’exclame-t-il. Le président américain George W. Bush avait d’ailleurs promis à Eid, lors d’une rencontre précédant une conférence en Europe de l’Est, qu’il serait le « livreur de l’état Palestinien ». Or, mise à part la conférence d’Annapolis en 2007, rien de concret ne s’est produit, et Bush a quitté son poste depuis. Eid avoue ne plus avoir beaucoup d’espoir quant au règlement de la situation.