La Fête sauvage, c’est le fond du baril. C’est la triste et pathétique image de décrépitudes humaines, de personnages grotesques qui se vautrent dans la laideur de leur quotidien. Et pourtant, c’est aussi beau, drôle, touchant et poétique, bref, c’est le parfait équilibre. Claude Poissant signe la mise en scène d’une pièce qui pourrait bien figurer parmi les meilleures à avoir été portées sur les planches cette année.
Sept personnages se partagent la scène, sept voisins habitant une campagne qui est loin d’être charmante. Tous magnifiquement campés par des acteurs de talent, ils réussissent à nous faire rire aux éclats tout en exposant un monde triste et peu reluisant. Dans ce qu’on imagine être un trailer park un peu délabré, les jouets traînent sur la pelouse jaunie, parmi les bouteilles d’alcool vides. C’est dans ce décor un peu sinistre que se prépare une fête bien particulière : c’est à la fois l’anniversaire de Martine et la veillée funèbre de Frank, qui s’est pendu deux mois plus tôt. Martine, en effet, a choisi de profiter de la fête pour enterrer les cendres de son amoureux suicidé, qu’elle pleure encore. Ses « amies de filles » l’aident à préparer la cérémonie, pendant que leurs conjoints, deux fanfarons à l’esprit embrouillé qui mélangent gin et speed, jouent les philosophes. On apprend également à connaître leurs voisins, un couple définitivement étrange, formé d’un homme un peu simple d’esprit aux paroles rares, et d’une femme qui rêve de découvrir « toute la beauté du monde », mais qui doit se contenter de lire des magazines de voyage. À travers cette brochette de personnages, c’est la vie et la mort à la fois qui sont symbolisées. Dans le voisinage, les enfants sont nombreux, plusieurs naissances sont imminentes, mais cette explosion de vie arrivera-t-elle à compenser la disparition de Frank ?
Le texte de Mathieu Gosselin, souvent acclamé et nominé en 2007 pour le Masque du meilleur texte original, est magnifique et parfaitement maîtrisé par ses interprètes. L’auteur joue de main de maître avec le contraste entre le tragique et l’humour, qu’il pousse à l’extrême. Il nous fait rire de bon cœur, mais ose en même temps exploiter le côté littéraire du texte. C’est particulièrement vrai chez les personnages de Rod et de Burn, qui donnent vie à une poésie toute spéciale : la littérarité de la parole, placée dans la bouche de deux saoulons immatures, crée un contraste finement calculé, qui pourrait déranger s’il était mal exécuté, mais qui, ici, est tout à fait à‑propos. Un texte brillamment tissé, qui, malgré son côté poétique, ne sonne jamais faux.
Le tout est magnifiquement assemblé par Claude Poissant, dont la réputation n’est plus à faire sur la scène théâtrale québécoise. Il mise sur la simplicité, avec la projection de tableaux lumineux qui servent de décor, et en cultivant de longs silences qui donnent du poids aux mots. Les acteurs, même lorsqu’ils ne prennent pas part à l’action, restent souvent sur scène, immobiles, et se transforment à quelques reprises en chœur. La musique qui assure la transition entre les scènes, signée par Éric Goulet, est mélancolique à souhait, nous rappelant à chaque fois le fond tragique de la pièce.
La Fête sauvage porte bien son titre. À la fois drôle, triste et infiniment pathétique, l’univers qui y est présenté sent l’alcool et le sexe, affiche fièrement toute sa laideur, et pourtant, nous épate par sa beauté. Une beauté inhabituelle, qui dérange, une beauté mélancolique et un peu triste, mais saisissante.