Le samedi 4 avril, la projection du documentaire au titre polémique L’enfermement, la pensée intellectuelle entre dogme et libération prenait place au Bar Populaire, rue St-Laurent. Pendant quelque cinquante minutes, un groupe hétéroclite de douze figures intellectuelles du Québec se relayait à l’écran pour soulever des problématiques aussi actuelles que complexes. Des sujets tels que le rythme effréné du système médiatique, la commercialisation des institutions d’éducation et la place qui revient aux intellectuels sur la place publique étaient au centre du propos des intervenants.
La réalisatrice, Judith Vienneau, détentrice d’une maîtrise en communication et cinéaste indépendante, soutenait que, quoique réalisé sans grande prétention, le documentaire « connaît aujourd’hui ses succès ». En janvier, il avait d’ailleurs été présenté à Montréal, par le biais de la Société des Arts Technologiques, lors d’une journée thématique intitulée Y a‑t-il unE intellectuelLE dans la salle ? Elle en est aujourd’hui à projeter une tournée de quelques institutions québécoises d’enseignement pour ce documentaire, qu’elle aura mis cinq années à réaliser.
En entrevue, elle indique que la décennie actuelle se distingue des précédentes par un périlleux « passage de l’intellectuel à l’expert ». En effet, elle observe et dénonce par le biais du documentaire la perte de ces penseurs généralistes « qui opéraient avec la distanciation qu’offre le temps, la retraite et le mûrissement d’une pensée. » Elle ajoute que le travail de l’intellectuel, quoique traduit par les médias que peuvent représenter la presse écrite ou le discours public, relève toujours « de l’invisible ». Dans le contexte d’une société aussi axée sur les résultats et la compétitivité que la nôtre, il serait même découragé, selon elle.
Un des douze intellectuels interrogés dans le documentaire, Éric Vennetilli, présent lors de la projection du 4 avril, abonde dans le même sens. Singularité notable, il souligne qu’il n’a jamais reçu de diplôme universitaire, assurant se distinguer de ses autres onze homologues. « J’ai toujours fait à ma manière, comme autodidacte, ou comme pionnier, a‑t-il déclaré. Mais toujours de manière autonome. » Il explique avoir boudé le milieu universitaire dès le départ, en raison d’une soif de connaissances et de science que la nouvelle relation de l’institution universitaire avec les entreprises corporatives ne savait pas étancher. Il n’a pas manqué de rappeler les problématiques non seulement décriées par L’Enfermement, mais encore The Corporation, notamment en ce qui a trait aux manières de faire des grandes entreprises – et institutions – qui se rendent garantes de déontologies que Vennetilli décrit comme « quasiment psychotiques. »
Questionné sur la manière dont on devrait s’y prendre pour émanciper les institutions universitaires de la logique néolibérale, M. Vennetilli répond que l’on se doit de « revenir à l’essentiel en rendant les organisations plus proches de l’homme. » Il suggère au passage le compagnonnage, ayant comme dessein explicite la transmission de la connaissance entre les différentes générations.
Il n’en reste pas moins que M. Vennetilli, essayiste et ancien professeur au collège Édouard-Montpetit, ne se sent pas tellement optimiste face aux défis qui attendent ce qu’il aurait pu appeler l’ « industrie académique » au Québec. Il explique que « l’instrumentalisation de l’éducation », c’est-à-dire le fait qu’on ait exigé des institutions d’études supérieures une intégration parfaite aux rapports de forces économiques des marchés, a transmué nos universités en « laquais des besoins militaro-industriels ». Il se rappelle de son passage comme enseignant au collège la formation d’une clientèle que l’on vise à rendre compétitive. Pour lui, il n’y a pas loin de la cage spirituelle à la grille d’analyse.