Désormais, il n’est plus nécessaire de réfléchir avant de faire entendre ses pensées discriminatoires. Du moins, c’est la conclusion qu’on peut tirer de la récente décision du vice-président du Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP), Athanasios Hadjis, de ne plus entendre des affaires qui invoquent les garanties législatives contre la propagande haineuse.
La Loi canadienne sur les droits de la personne interdit l’expression successive de commentaires discriminatoires par le biais du téléphone ou d’Internet. Cependant, Hadjis est d’avis que cette prohibition viole les droits fondamentaux enchâssés dans la constitution canadienne, notamment la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication. Pour cette raison, Hadjis a rejeté les poursuites contre Marc Lemire, qui aurait affiché sur Internet des discours antisémites et homophobes. C’est la première fois dans l’histoire canadienne qu’une personne accusée de promouvoir des discours haineux est acquittée.
Ce revirement de situation surprenant dans le droit canadien provoque plusieurs questions. Pendant 32 ans, les personnes accusées de propagande haineuse ont été trouvées coupables et punies en conséquence. Ainsi, il semble que la jurisprudence change, qu’elle se métamorphose au point que ce qui était autrefois condamné n’est désormais plus répréhensible. Comment concevoir ce changement juridique ? Pourquoi un acteur administratif de l’État déciderait-il de changer d’opinion aussi drastiquement ?
Plus fondamentalement, nous nous retrouvons possiblement avec la question qui émerge dans toute démocratie, à savoir : quelles limites peut-on, en tant que société qui se veut démocratique et ouverte, imposer à la liberté d’expression ? Certains disent que la liberté d’expression est ultime et qu’il faut la protéger à tout prix ; d’autres, par contre, soutiennent que la liberté d’expression doit être protégée dans la mesure où cette protection ne cause pas de préjudice à autrui ou ne permet pas des discours répréhensibles. À la première lecture des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés auxquelles Hadjis fait référence, on croirait que la liberté d’expression est toute puissante. Mais il ne faut pas s’y laisser prendre : toutes les libertés présentes dans la Charte canadienne peuvent être assujetties à des limites prescrites par des règles de droit « raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». La Loi canadienne sur les droits de la personne peut être cette « règle de droit ».
Peu importe les arguments en faveur d’une liberté absolue ou d’une liberté limitée, il reste néanmoins à déterminer qui devrait détenir le pouvoir de proscrire un discours. En l’occurrence, un fonctionnaire administratif de l’État en la personne de Hadjis s’est chargé d’en déterminer les limites. Cependant, il est probable que cette décision soit portée en appel et que, ultimement, la Cour suprême ait à se prononcer. Le tribunal suprême du pays aura donc la chance de remettre les pendules à l’heure s’il le croit nécessaire. La question mérite un examen profond ; la volonté législative doit être étudiée avec précision.