On parle souvent dans les manchettes du besoin de réduire les émissions globales de CO2 : il est impératif, selon des groupes écologistes tels que Greenpeace, de prévenir le réchauffement planétaire, la fonte des glaciers, et la croissance exponentielle du nombre de catastrophes naturelles provoquées par l’humain. D’après la journaliste et auteure Alanna Mitchel, c’est un fait fort connu depuis longtemps que les pratiques industrielles avares de l’homme épuisent à vue d’œil les ressources terrestres et forestières, menacent les populations animales et nuisent à la couche d’ozone. Pour plusieurs citoyens, la situation devient tous les jours plus urgente puisque les partis au pouvoir et les grandes entreprises n’agissent pas ou agissent de manière insuffisante. « Mais les dangers dont on parle dans les médias ne sont que la pointe de l’iceberg », nous précise Mme Mitchell.
Une situation alarmante
Ce dont on ne parle pas ou terriblement peu dans les médias, c’est de l’effet dévastateur qu’ont les émissions de CO2 issues de nos industries sur l’océan. Pourquoi est-ce important ? Selon la biologiste marine Sylvia Earl, l’inspiration principale de Mme Mitchell, ces vastes étendues d’eau n’abritent pas moins de 99% de l’espace habitable de la planète et la plupart de la vie sur Terre se situe en fait sous l’eau. « Or, si toutes les formes de vie présentes dans les océans devaient mourir demain, toutes les formes de vie présentes sur la terre —et dans l’air— mourraient aussitôt. Nous dépendons de l’océan ! Ce que je me demande, c’est ce qu’on attend pour exposer cette équation bien simple au grand jour ! », s’inquiète la journaliste.
En effet, l’océan fournit non seulement aux créatures terrestres une variété d’aliments frais, il sert aussi de filtre et absorbe une partie du CO2 présent dans l’air. C’est ce constat alarmant qui a motivé Mme Mitchell à aller explorer les fonds marins en compagnie d’équipes de biologistes –parce que la journaliste incrédule devait voir le désastre de ses propres yeux– et à écrire son livre Sea Sick : the Hidden Crisis in the Global Ocean. « Les médias de masse n’ont pas intérêt à publier de telles nouvelles ; cela les forcerait à remettre en question l’appareil industriel et économique dont ils dépendent. C’est pour cela que vous n’en avez pas entendu parler avant, et c’est pour cela que j’ai du publier ce livre pour informer le grand public », explique Mme Mitchell.
Plus de CO2 = moins de vie
Les émissions de CO2 affectent les écosystèmes océaniques de trois manières, précisément. Premièrement, un accroissement de dioxyde de carbone provoque une diminution de l’oxygène disponible pour la vie marine, et donc, une diminution de cette vie marine. Il existe même actuellement des « zones mortes » dans l’océan, des zones où l’on ne retrouve aucun oxygène et aucune vie. « On retrouvait 200 de ces zones mortes dans les eaux costales vers la fin de 2008. Maintenant, leur nombre se rapproche de 500, et trois de ces zones se situent dans des courants costaux qui devraient normalement déborder de vie », déplore la journaliste. Certaines de ces zones mortes proviennent de débalancements écologiques causés par la pollution, mais la majeure partie d’entre eux sont apparus à cause des changements climatiques et des concentrations élevées de CO2 dans l’air.
En second lieu, lorsque l’océan absorbe le dioxyde de carbone provenant de notre consommation de combustibles fossiles –et il absorberait un tiers de ces émissions, un phénomène irréversible de notre vivant– ce CO2 est chimiquement actif et agit en tant qu’acide modéré qui modifie le potentiel d’hydrogène (pH) des étendues d’eau, parfois de 8.2 à 8.05. « Il faut savoir que notre corps fonctionne normalement dans une gamme limitée de pH ; si notre pH s’écarte de cette gamme, on meurt », explicite Mme Mitchell. « Le pH des océans se distance tranquillement du pH du milieu dans lequel la vie marine a évolué. Les scientifiques ne sont pas certains quant à ce qui arrivera aux écosystèmes océaniques si le pH des eaux continue de baisser. Que feront les créatures marines ? Pourront-elles s’adapter ? Nous savons que certaines espèces en sont capables », continue la journaliste.
Mais le problème se poursuit au-delà de la modification du pH océanique. « Une baisse du pH signifie qu’il y a moins de calcium disponible ; or, le corail et les coquilles de plancton, par exemple, sont constitués de calcium », poursuit Mme Mitchell. Si les scientifiques ne s’étaient pas réellement attardés sur la possibilité d’un changement de pH dans l’océan, ils sont maintenant convaincus qu’une catastrophe biologique se pointe à l’horizon : « plus il y a de CO2, plus l’eau devient acide », rappelle Mme Mitchell. Et on peut malheureusement compter sur une augmentation d’émissions de dioxyde de carbone dans les prochaines années, « d’autant plus qu’on ne tient même pas réellement compte des océans dans les discussions internationales sur les changements climatiques », dit Mitchell.
Température à la hausse
Enfin, il est bien connu que des concentrations croissantes de dioxyde de carbone provoquent une augmentation de la température générale dans notre atmosphère, et il en est de même dans la sphère marine. Les scientifiques ont noté un accroissement de blanchiment chez les coraux, signe certain de l’accroissement de la température sous l’eau. « Ce qui est inquiétant, explique Mme Mitchell, c’est que l’extinction massive qu’il y a eu durant le Permien, à la période Paléozoïque, a justement résulté d’une augmentation de la température, d’un accroissement de l’acidité et d’une diminution de l’oxygène. Il semble donc qu’on se dirige vers une extinction semblable, et c’est à se demander, sérieusement, ce qui arrivera si la vie océanique est altérée, endommagée, affaiblie », s’inquiète la journaliste.
La responsabilité d’agir
Les émissions massives de CO2 sont en train de changer radicalement la vie sous-marine, à un point tel que l’on devra bientôt parler de « mort sous-marine », si rien n’est fait bientôt. « En compagnie de la scientifique renommée Nancy Knowlton, j’ai appris que 80% du corail était mort dans les Caraïbes suite à la disparition de nombreuses espèces de poissons », déplore la conférencière. En ce moment, les autorités peinent à réduire suffisamment les émissions de CO ; or, « il faut non seulement réduire les émissions de ce gaz nocif, mais les concentrations existantes de cette substance dans les océans », soutient Mme Mitchell. Questionnée sur le sujet de la fluidité normale de la nature et du pourquoi de l’intervention humaine en cette période de changements, la journaliste a défendu que « ce changement dramatique est incroyablement rapide et nous avons la possibilité de le comprendre et de le renverser contrairement aux dinosaures. Cette habileté à comprendre nous met dans l’obligation d’agir. Nous devons songer à l’héritage que nous voulons laisser. »