L’affiche avait de quoi faire rêver : en fond, des pochettes d’albums aux titres mythiques (Highway 61 Revisited, Blonde on Blonde, Live at Folsom Prison, Songs from a Room ) et ces mots : « What do these records all have in common ? One man, legendary producer… Bob Johnston ». Car c’est bien une légende qui a foulé l’estrade de la salle Tanna Schulich du 527, Sherbrooke Ouest, sans doute l’un des cinq plus grands producteurs de l’histoire du rock, à qui l’on doit certains des plus célèbres albums de Dylan, Cohen, Cash, Simon & Garfunkel, etc…
Le 2 octobre dernier, à 16h, les portes du Tanna Schulich Hall se sont donc ouvertes pour offrir au public plus de deux heures d’une conférence jamais pompeuse, foncièrement drôle, divaguant aux hasards des réminiscences d’un grand monsieur toujours aussi passionné. Tout d’abord, est arrivé sur l’estrade Howard Bilerman ‑également producteur, et batteur d’Arcade Fire sur l’album Funeral- qui a raconté sa première rencontre avec Bob Johnston : après s’être rendu compte qu’il était assis deux sièges à côté de lui à un concert de Leonard Cohen, il est allé le voir en lui disant « Hi ! You know you are the greatest producer in History ?», et Johnston lui a répondu, « Yes, I’m George Martin ! [le producteur des Beatles]». La foule s’est alors mise à rire, puis à applaudir lorsque Bob Johnston a fait son apparition.
C’est alors à un spectacle de haute voltige que les auditeurs ont eu droit. Le duo que formaient Bilerman aux questions et Johnston aux réponses valait à lui seul le détour. La conférence s’est déroulée à la manière d’une conversation, chaque question amenant une anecdote, qui elle-même s’ouvrait sur une autre. Comme celle à propos de l’enregistrement mythique de « Sad-Eyed Lady of the Lowlands » de Dylan, où le groupe –qui n’avait jamais répété et avait reçu comme seule indication ces mots : « It’s simple, it’s G‑C-D !»– montait en cadence à la fin de chaque couplet comme pour une finale, ne sachant pas quand la chanson allait se terminer. Ou encore l’histoire de ces concerts en prison que Cash et lui ont réalisés, contre les directives des pontes de CBS, et qui se sont vendus à des millions d’exemplaires. Ou encore le récit de ce moment où Johnny Cash, lors du concert à San Quentin, s’est mis à chanter une deuxième fois la chanson « San Quentin », alors que l’émeute grondait et qu’on lui avait demandé de chanter une chanson religieuse afin d’apaiser les prisonniers. Il a également parlé de la maison de disque indépendante qu’il a mise sur pied afin de redonner une vraie liberté aux artistes, son credo étant de ne jamais aller à l’encontre du désir de l’artiste, puis finalement de son repas de la veille avec Leonard Cohen, dont il est toujours aussi admiratif.
La conférence s’est terminée sous les applaudissements. Chacun pouvait aller librement parler au célèbre producteur, que ce soit pour lui offrir son disque ou lui demander un conseil. Et toujours ce sourire, ce pétillement dans les yeux des vrais passionnés, et jamais aucune once de condescendance (ce qui est remarquable, surtout pour un professionnel de ce calibre). En 2010 paraîtra l’autobiographie de Bob Johnston, qui sera certainement une façon aussi excellente de connaître l’homme –dont la passion a teinté l’ensemble de sa carrière– que ne l’est l’écoute des disques qu’il a produits.