Dans l’introduction de son nouveau recueil de nouvelles intitulé Sang de pierre, Élizabeth Vonarburg avoue être avant tout une auteure guidée par les mots et non par les idées. Ceci ne surprendra pas ceux qui connaissent bien la prose de la Chicoutimienne d’adoption, une prose le plus souvent caractérisée par des phrases d’une longueur considérable et par un vocabulaire d’une grande richesse. Si reflète en effet la grande passion qu’a l’auteure de science-fiction (SF) pour les mots et pour l’écriture, le recueil semble aussi être l’expression d’un long questionnement sur l’identité humaine – une préoccupation qui, bien sûr, est inhérente au genre de la SF, qui s’applique à imaginer autrement l’humain et à le réinventer encore et encore.
Sang de pierre regroupe cinq nouvelles de longueur variée publiées entre 1980 et 2004, ainsi qu’une nouveauté, « Terminus », qui, comme son nom l’indique, conclut le voyage littéraire du lecteur. Si c’est la nouvelle « Sang de pierre » qui donne son nom au recueil de Vonarburg, on ne doit pas nécessairement s’y précipiter ni s’attendre à une nouvelle représentative de l’ensemble : en effet, elle peut être moins accessible pour plusieurs lecteurs, puisque l’auteure a conçu sa narration sous forme de séquences cinématographiques. Certains pourraient donc se lasser d’avoir l’impression de lire un script ou un scénario. On aime ou on n’aime pas !
Dans les autres nouvelles, le lecteur n’a qu’à se laisser bercer par la plume de Vonarburg, qui le fera voyager doucement jusqu’à destination sans toutefois éluder des enjeux fondamentaux. Parmi les plus fascinants récits, on retrouve « Éon » et « Le début du cercle », qui abordent tous deux la tension qui existe entre les technologies synthétiques, l’intelligence artificielle et la vie organique. Dans la première, où l’on raconte l’histoire de générations de clones vivant à bord d’un vaisseau moitié synthétique, moitié organique, on parle de confiance et de risque : entre quelles mains notre vie est-elle le plus en sécurité ? Dans l’autre, l’accent est placé sur l’éthique et l’intégrité de l’identité humaine, alors que des prothèses « cyborganiques » transforment graduellement les individus qui les adoptent en monstres synthétiques.
Ces tensions entre technologie et nature sont au coeur même de la définition de l’humain aujourd’hui : au fur et à mesure que nous devenons dépendants de la technologie, que nous succombons à ses tentations, devenons nous aussi moins humains ? Sommes-nous à la veille de devenir des êtres « cyborganiques » ? La technologie menace-t-elle ce qu’il reste de naturel dans la nature humaine ? Par exemple, si elle efface tout ce qu’il y a de naturel et d’organique dans la reproduction, les sexes auront-ils toujours leur raison d’être ? C’est une question que semble se poser Vonarburg dans « Éon », où l’on retrouve un équipage entièrement masculin qui se reproduit par clonage. Les thèmes de la condition féminine sont également abordés de manière très pertinente dans les fascinantes nouvelles plus courtes intitulées « Celles qui vivent au-dessus des nuages » et « Terminus ».
La prose plutôt lente d’Élizabeth Vonarburg n’est pas pour le lecteur pressé. Cependant, celui qui sait s’arrêter pour faire une lecture profonde, qui s’abandonne réellement au texte et qui s’attarde pour savourer chaque terme, se fera prendre sans s’en rendre compte dans les tentacules des univers originaux et marquants de Vonarburg. Il suffit de se laisser guider par les mots.