Des profondeurs abstraites dans lesquelles nous entraîne Éric Jean, de sa volonté de dépouiller le théâtre de tous les artifices de la représentation, de tout cela surgit une aspiration simple mais maintes fois réitérée : « Je ne veux pas raconter, je veux ressentir. » Ainsi se profile dès les premiers instants un « happening théâtral » (créé en collaboration avec Pascal Chevarie) qui marque certainement un point tournant dans l’oeuvre du metteur en scène et directeur artistique du Quat’Sous. Celui qui avait habitué son public à des pièces narratives dans un décor complexe dépouille ici la scène pour ne laisser parler que le jeu d’une distribution chevronnée, dans un cheminement qui est pur questionnement. La mémoire et le rôle de l’artiste, thèmes centraux de ses pièces Hippocampe ou Opium_37, s’éclipsent alors au profit d’un vague questionnement identitaire.
Aucune histoire, aucun lieu ou temporalité ne s’installe ; la matière du spectacle est essentiellement le reflet d’un processus de création basé sur l’improvisation dirigée des acteurs et sur le développement d’environnements sonores conçus par le compositeur Vincent Letellier. Empruntant les voies de la sensualité et explorant toutes les facettes de l’expression du corps, les comédiens expriment tantôt collectivement, tantôt individuellement une désintégration de l’identité qui est aggravée par leur devoir de toujours jouer un rôle. Ce tableau qu’ils brossent n’a toutefois rien d’accablant. S’exprimant par la danse, la musique, le monologue et l’interaction, leur questionnement se teinte parfois d’un humour loufoque, mais aussi d’une poésie simple, ravissante et universelle. Chacun vient exprimer au micro ses tourments et ses inspirations, ou confier à ses acolytes ses désirs les plus fous, les secrets qu’il a tenté de refouler. Ainsi, Évelyne Brochu explique au public en quoi consiste sa « personnalité passoire », Alexandre Landry danse et joue avec ces lieux communs qu’un être utilise pour s’identifier à l’autre et Sacha Samar, tout en peignant sur le corps de Sylvie Drapeau, utilise une astucieuse mise en abîme pour lui déclarer son amour. Ici, tous les jeux du langage et tous les modes d’expression sont bons pour traduire une explosion de l’être.
Chambre(s) est la célébration d’un art qui revient à ses sources pour se défaire de tout ce qu’il peut avoir d’hermétique. Elle réunit sous forme de métaphores ce besoin de rompre avec le cohérent, le linéaire et le raisonné. Elle témoigne aussi d’une confiance sans borne en son public, lui offrant une fenêtre unique sur le processus de création d’une oeuvre et sur le travail d’un metteur en scène entièrement investi dans cette création. De cette chambre qui n’a donc rien d’une pièce de théâtre conventionnelle, on ressort peut-être très perplexe, mais assurément charmé.
Chambre(s)
Où : Théâtre de Quat’Sous, 100. ave. des Pins Ouest
Quand : jusqu’au 19 décembre
Combien : 22$ (étudiant)