Je vous invite, l’espace d’un instant, dans l’imaginaire de l’étudiante caméléon que je suis. Je dis étudiante caméléon, car mes intérêts sont loin d’être limités à une seule discipline : l’histoire de l’art m’intéresse pour sa part interprétative, la sociologie percute mon sens des statistiques, l’éducation me donne espoir, la littérature nourrit mes rêves et la traduction me ramène sur Terre. J’envisage de peine et de misère l’autonomie absolue de chacune de ces disciplines. Je trouve qu’une mineure et une majeure n’étanchent pas non plus ma soif de savoir ; du moins, pas selon ma conception utopique du premier cycle d’université.
Peut-être ne suis-je pas la seule à être de cet avis, mais je me lance : la multidisciplinarité devrait occuper une plus grande place en milieu universitaire.
J’ose donc imaginer un type différent de formation à l’université : un baccalauréat au cours duquel l’étudiant développerait sa connaissance d’un maximum de domaines. Il suffirait de 120 crédits pour satisfaire les différents types d’intelligence de cet étudiant. Ainsi, à la fin de quatre ans d’université, il aurait acquis à des connaissances personnelles en matière d’éducation, de médecine, de sciences politiques, de littérature anglaise, de traduction, de sciences sociales et de communication, par exemple. Bref, cet apprentissage lui lèguerait une banque de principes qui ne limiteraient pas les horizons de cet humain en quête de savoir.
Je ne songe pas au concept de cette formation multidisciplinaire uniquement par soif de savoir : il m’arrive aussi de douter de l’efficacité d’une formation centralisée et hyperspécialisée quant à son incidence sur l’épanouissement de l’être humain. Ce scepticisme surgit lorsque, entre autres, je vois certains spécialistes de la santé se montrer trop arbitraires dans leurs jugements. Il ne faut pas nécessairement se laisser surprendre par cette situation : comme je l’ai mentionné, leurs décisions relèvent de la formation très spécialisée qu’ils ont reçue. Certes, nous avons besoin de spécialistes, mais il reste à voir s’ils répondent convenablement à leurs responsabilités civiles, éthiques, écologiques et citoyennes. Vous conviendrez que ces compétences ne sont pas énumérées dans un livre de biologie moléculaire.
À l’heure actuelle, bon nombre d’apprentis médecins, généticiens, biologistes devraient approfondir leurs connaissances en termes d’enjeux éthiques, philosophiques et sociaux. Pour en témoigner, je suis tombée cette semaine sur l’entrevue d’un professeur de biochimie à Paris VI, Gilbert Béréziat, qui a curieusement donné raison à ma conception multilatérale de l’éducation : « Il faudrait développer la pluridisciplinarité. Je ne comprends pas qu’aujourd’hui un étudiant en sciences n’ait plus aucun cours de littérature, et inversement. Je propose que pour les trois premières années, on crée des universités où toutes les disciplines soient représentées, afin de permettre aux étudiants de les suivre aisément », a‑t-il dit lors de son entretien avec France-Soir. La littérature elle-même n’est pas à isoler : elle est indissociable de son contexte historique, sociopolitique, éthique, et j’en passe.
Pour illustrer mon propos selon lequel une éducation complète serait nécessaire, je vous renvoie à l’exemple de l’ingénieur, de l’architecte ou du contacteur : comment peuvent-ils penser implanter arbitrairement un système hydroélectrique sur un territoire nordique sans d’abord connaître les enjeux éthiques et historiques de la population qui l’habite ? Vous pouvez aussi bien prendre un laissez- passer double pour : « Conflits d’intérêt – le spectacle ».
Il faut que vous sachiez que les théories relatives à mon utopie ne datent pas d’hier. Abdelkrim Hasni, professeur en didactique des sciences à l’Université de Sherbrooke, en retrace les débuts : « Au Québec, la question de l’interdisciplinarité dans l’enseignement est à l’ordre du jour depuis les années 1980 », alors que le Conseil supérieur de l’éducation a publié un rapport qui recommandait que « chaque élève arrive à mieux comprendre les liens qui existent entre tous les apprentissages qu’il réalise ». À mon avis, cette approche éducative a tout pour perdurer et, avec un peu de volonté, on saura peutêtre mettre sur pied une faculté autonome, celle du savoir.
Tout compte fait, j’en reviens à cette question : les thèses à nature holistique ont-elles leur place au sein des études de premier cycle à l’université ? Maintenant que vous m’avez lue, la réponse s’avère évidente. Seulement, il faut voir si le projet éducatif de l’université va de pair avec cet objectif ; ensuite, il faut s’assurer que les méthodes utilisées pour atteindre cet objectif sont convenables.
Loin de moi l’idée de lancer des idées complètement folles et sans fondement, mais, malgré ma conviction de la nécessité d’une éducation universelle, j’ai la forte impression que mon plan souhaité restera une utopie. J’aurai beau militer avec ma pancarte « Hors de ma vue, curriculums trop bornés ! », je suis consciente que ce projet aura de la difficulté à prendre vie, à moins d’un miracle de l’Immaculée Conception qui, elle, aurait foi en la multidisciplinarité menée à son paroxysme.