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Redmen, Donjons et Dragons

Si notre université rêvée se doit d’être tournée vers l’avenir, un soupçon de tradition médiévale ne lui ferait pas de tort. Notre collaboratrice vous propose de visiter le lieu d’apprentissage et d’épanouissement amélioré que serait le McGill moyenâgeux.

L’oeil vif, la paupière aux aguets, le verbe prêt à être dégainé… Le chevalier de notre temps n’est autre que l’universitaire occupé qui arpente sans relâche les murs de l’Université. Fantasmes et idéalisation du Moyen-Âge sont choses courantes ces jours-ci, alors pourquoi ne pas continuer sur cette voie et bâtir une université qui répondrait aux besoins de tous les maniaques de jeux de rôle médiévaux, de toutes les princesses dans l’âme et de tous les merlins refoulés ?

Autant certaines pratiques moyenâgeuses encore utilisées aujourd’hui dépassent depuis longtemps leur date de péremption, autant d’autres aspects oubliés de la vie médiévale devraient revenir en force. En fait, l’université idéale doit s’inspirer du Moyen-Âge de manière critique afin de concilier valeurs traditionnelles et modernité.

McGill, université fortifiée

Le sceau de la poste en témoigne, votre demande d’admission a bien été reçue, étudiée et acceptée. Une compétitivité incomparable paraît à l’horizon : le pire est à venir. Vous savez que vous aurez à affronter le grand monde dans peu de temps ; vous savez que vous aurez à affronter des étudiants aussi qualifiés que vous, qui possèdent les mêmes ambitions que vous et ont plus ou moins les mêmes habiletés. Votre avenir dépend de qui se présentera, mais aussi de qui vous évaluera et de la manière dont on le fera. À la manière des seigneurs médiévaux, les examinateurs ont droit de vie et de mort sur les étudiants plein d’espoir se présentant en entrevue.

L’université fortifiée de McGill (appelons-la « La Rouge ») ne laisse pas passer ses portes à qui le veut : ses dirigeants sont fiers de répéter que seule l’élite y a accès. Mais n’est-ce pas un peu prétentieux ? Quitte à être différente, l’Université devrait repenser ses comités d’entrevue et ses critères d’admission et envisager un retour aux bonnes vieilles traditions. Je propose donc que les postulants se présentent à cheval dans une arène et chargent à grands cris leurs rivaux en les pointant de leur lance, le but étant de s’embrocher mutuellement. Le premier au sol n’est pas admis par le comité de sélection qui observe le spectacle du haut d’une estrade, emmitouflé dans une cape d’hermine et de renard. Le courage, la vaillance, le sang-froid et même la témérité seraient enfin pris en compte lors de la sélection des bons et loyaux chevaliers destinés au service de la ville fortifiée. De plus, les combats où le gagnant demeure facilement identifiable régleraient les problèmes d’objectivité lors des entrevues.

Par dépit ou jalousie, ou tout simplement parce qu’il y a véritablement prétention, McGill est souvent regardée d’un mauvais oeil par les étudiants extérieurs. Est-ce que McGill se fait délibérément plaisir en perpétuant la maxime latine : « diviser pour mieux régner » ?

Les initiations sont un bon moment pour sentir les tensions qui existent entre les universités de Montréal, la forteresse Rouge au centre du tumulte.

D’ailleurs, les initiations de beuverie (ou beuveries d’initiation, c’est selon), ne peuvent que nous ramener aux tavernes crasseuses et puantes du XIIe siècle. Et s’il y a un aspect que l’on veut oublier du Moyenâge, c’est probablement celui-ci. Les initiations devraient plutôt se dérouler à la manière d’une cérémonie où on construit des liens de personne à personne, entre seigneurs et futurs chevaliers. Les liens vassaliques dans l’Europe occidentale du XIe siècle se nouaient par l’hommage et la foi, valeurs supportées par une fidélité réciproque. Cette technique, employée par les anciens pour adouber les nouveaux étudiants, aurait nettement plus de poids que de simplement défiler dans les rues en beuglant voussavez- quoi.

McGill, cour lettrée et délicate

L’université idéale devrait aussi valoriser ce qui manque cruellement à tous les étudiants de ce monde, la patience et la lenteur. En fait, le temps est une denrée rare dans la société moderne et l’université devrait se donner pour mission de « réenseigner » l’art de prendre son temps. Si les professeurs pouvaient enfiler la soutane et enseigner à la manière des moines moyenâgeux (pour qui la vie était une interminable réflexion sur la brièveté de l’existence sur terre), bien des aspects de la vie universitaire s’en trouveraient améliorés. Adieu Internet dans les cours, adieu les étudiants qui savent tout trop vite, adieu la folie du Gross Personal Average (GPA)… Les notes de cours ne seraient données qu’en latin ancien et la plume et l’encre redeviendraient les uniques outils de l’étudiant. Enfin, renaîtrait de ses cendres le véritable désir d’apprendre qui trop souvent déserte les salles de classe.

Si les croisades n’ont semé que désastre et désolation, elles ont tout de même apporté des changements appréciables à l’Europe occidentale : l’amour courtois est parmi ceux-là. L’université idéale, en adoptant des valeurs médiévales, ne devrait surtout pas négliger cet aspect hautement essentiel qui semble un peu oublié par les temps qui courent. Exit l’agenda, la Bible de l’étudiant sera Le Roman de la rose, code de l’amour courtois rédigé au XIIIe siècle. Les passages tels que « Sers et honore toutes les femmes ; / Peine et travaille à les servir » ou « Et si tu entends quelque médisant / Qui aille méprisant les femmes, / Blâmele et dis-lui de se taire » devraient naturellement apparaître en gras et plusieurs fois soulignés.

Le Moyen-Âge est une période particulièrement sombre de l’histoire de l’Europe occidentale. Pourtant, plusieurs petits détails repêchés de cette époque sauraient faire avancer la société moderne, ne serait-ce que l’amour courtois et la patience monastique. Bien entendu, les croisades universitaires, dans cette lutte acharnée pour reconquérir le tombeau prestigieux de la réussite, complètent le tableau médiéval de notre université moderne. 


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