Dans ma dernière chronique, il était question du récent renversement de la Cour suprême déclarant la Loi 104 anticonstitutionnelle. Rappelons que cette loi, votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec, visait à colmater une brèche de la Loi 101 par laquelle des parents inscrivaient leurs enfants à une école privée non subventionnée pendant une courte période de temps pour pouvoir ensuite faire le saut dans le système scolaire anglophone subventionné. Je disais qu’il fallait questionner la valeur des mesures qui visent la protection de la société et de la culture québécoise quand celles-ci nécessitent la renonciation aux droits linguistiques minoritaires. Par ailleurs, je soutenais que la société et la culture québécoises ne sont pas menacées à un tel point qu’il soit théoriquement légitime de renoncer à ces droits minoritaires.
Sur le site Internet du Délit, on m’a répondu en disant que j’étais mal avisé. Les grandes lignes des critiques étant qu’il ne faut pas comparer les anglophones minoritaires au Québec avec les minorités francophones hors Québec, que Québec et Montréal aspirent à plus que Sudbury en termes d’effervescence culturelle et que la décision de la Cour suprême nie la « volonté unanime de [l’] assemblée nationale démocratiquement élue » et qu’elle « a mis en exergue les différends idéologiques qui la séparent de notre province […] ». Cette réplique manque de nuances importantes.
Si les Franco-ontariens ont appuyé les anglophones minoritaires du Québec, c’est qu’ils n’avaient pas de choix, peu importe les différences entre les deux minorités. Sur ce point, le Québec est l’auteur de son propre malheur. La Révolution tranquille et les mouvements nationalistes québécois ont apporté « l’éclatement du Canada français [ayant des répercussions] sur l’identité des Canadiens-Français des autres provinces ». Les francophones en Ontario qui « se sont longtemps appuyés sur [le Québec] et sur le statut de Canadiens-Français », comme l’écrit Guy Gaudreau, écrivain spécialiste de l’Ontario et professeur d’histoire à l’Université Laurentienne de Sudbury, ont simplement dû trouver une autre identité. Ils devenaient alors une minorité francophone hors Québec alors qu’il était jadis membres de la nation canadienne- française. Alors, les Franco-Ontariens doivent maintenant défendre les droits linguistiques minoritaires partout au Canada (même anglophones) pour garantir leur existence et reconnaissance. Il faut assurer cette symétrie. C’est justement la conséquence de la parcellisation de la francophonie au Canada et du fait que les francophones hors Québec ne peuvent plus facilement s’appuyer sur le Québec pour le maintien de la francophonie au Canada.
Je suis aussi d’avis que Québec et Montréal aspirent à beaucoup plus que Sudbury culturellement. Ce sont des grandes villes. Par contre, il ne faut pas comparer de tels centres urbains avec la communauté de Sudbury. Cette ville est un centre franco-ontarien en Ontario parmi d’autres, tandis que Québec et Montréal représentent, j’imagine, les bastions de la nation québécoise. Mais en fait cette nuance n’a pas d’importance. Si je condamnais l’adoption de mesures législatives qui nient les droits aux minorités anglophones au Québec, c’est parce que la communauté francophone du Québec a augmenté entre le recensement de 2001 et 2006, à savoir de 89 005 personnes. Quelle est donc la panique ? Comment légitimer la renonciation de droits constitutionnels quand il n’existe même pas, à la limite, « d’urgence » (en supposant qu’on peut renoncer aux droits en temps d’urgence). Et sur ce point, il ne faut pas utiliser l’Ontario comme point de comparaison. Les Franco- Ontariens utilisent la législation pour garantir leurs droits tandis que le Québec l’utilise pour nier les droits des autres.
Bien sûr l’Assemblée nationale du Québec a le droit d’adopter des lois. Mais, ce qu’il ne faut tout de même ne pas oublier, ce qui semble évident, c’est que le Québec fait partie d’un ordre constitutionnel. La Charte s’applique au Québec même s’il ne l’a pas signée. L’élection démocratique d’un gouvernement n’équivaut pas à un pouvoir d’adopter des lois anticonstitutionnelles. Si l’on regarde cela de plus près, il semble que la réplique veuille que lorsque des idéologies entrent en jeu, et que le gouvernement est démocratiquement élu, il n’est plus nécessaire de respecter les fondements constitutionnels.
Je crois que les francophones du Canada doivent remettre les pendules à l’heure afin de retrouver une harmonie. Nous devons accepter les barrières géographiques qui posent des défis à une telle harmonie, mais il ne faut pas les exagérer pour en faire un défi insurmontable. Une telle harmonie favoriserait l’ensemble des francophones qui vivent au Canada.