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Profaner l’insignifiance, un tableau à la fois

Le Théâtre de la Pire Espèce présente à l’Espace libre Gestes impies et rites sacrés, intrusion enlevante et éclatée dans l’univers du théâtre d’objets.

Un ballon jaune roule au milieu de la scène, d’étranges clowns font leur entrée. Animés d’un curieux enthousiasme, certains perdent carrément la tête à force de vouloir s’expliquer ou se confier au public. Tandis que le texte perd rapidement tout sens tangible, un des clowns donne un coup de pied à la tête de sa collègue. Celle-ci roule sur le sol jusqu’aux coulisses avant que le maître de cérémonie n’incite le public à applaudir.
Bienvenue dans l’univers de Gestes impies et rites sacrés, la nouvelle création du Théâtre de la Pire Espèce. Cette compagnie montréalaise pratique depuis maintenant dix ans le théâtre d’objets, un genre théâtral difficile à cerner qui vacille entre la danse, le cabaret et le théâtre de marionnettes et qui se définit essentiellement par un recours à l’accessoire à la fois envahissant, burlesque et imaginatif. De ce rapport fort particulier naissent dans la pièce mise en scène par Francis Monty des personnages guidés et modelés par une quête inassouvie d’absolu, d’humanité et de sacré.

Ainsi, un homme se laisse arracher un bras pour se faire poser une aile, un autre passe silencieusement sur scène affublé d’une tête gigantesque et un « roi » au visage de papier se fait défigurer par une scie avant d’être dompté tel un animal. Ces rituels étranges, qui se succèdent sans pour autant se compléter ou encore moins s’expliquer, baignent le spectateur dans un environnement où l’influence de cinéastes tels que David Lynch ou Alejandro Jodorovski se fait bien sentir. Ici, l’image et l’ambiance l’emportent sur le texte et les accessoires scéniques deviennent, au préjudice des comédiens, le centre de la représentation et l’essence du propos, s’il en est un.

À qui veut bien l’entendre, Gestes impies et rites sacrés déclame une fable sur la perte de signifiance, de sens et de valeurs dont devrait se nourrir l’existence. Si cette importante perte de repères achève parfois d’exaspérer même le plus aguerri des spectateurs et crée certaines longueurs pendant les deux heures que dure la « cérémonie », la création vaut néanmoins un détour par l’Espace libre pour la grande beauté des métaphores qu’elle illustre et pour l’intrusion qu’elle nous offre dans l’univers fascinant du théâtre d’objets, forme qui est ici exploitée avec une maîtrise indéniable. C’est donc un rendez-vous pour tous les fidèles du théâtre non conventionnel qui ne craindront pas d’assister à cette profanation de l’insignifiance, au risque d’y sacrifier leurs références.

L’Espace libre est, par ailleurs, un lieu de création et de diffusion qui a pour mandat de présenter des créations qui en elles-mêmes défient, interrogent et remanient la pratique théâtrale. L’hiver 2010 s’y annonce assez prometteur. On y présentera prochainement L’amour incurable du théâtre Les Trois Arcs, Silence Radio, du théâtre de la Banquette arrière, L’Énéide d’Olivier Kemeid ainsi qu’une nouvelle création du Nouveau Théâtre Expérimental, La fin. À suivre…

Gestes impies et rites sacrés
Où : Espace Libre, 1945 rue Fullum
Quand : 7 au 23 janvier
Combien : 21$ (étudiants)


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