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Le billet de la Bombe

Sundance n’a qu’à se rhabiller…

Il y a de ces oeuvres et de ces artistes qui semblent parfois surgir subitement dans le paysage québécois avec des mois de retard, ayant remporté un tas de nominations ou de reconnaissances et me donnant surtout l’impression d’avoir été noyée dans mes coursepacks et coupée de toute actualité depuis l’âge de pierre. Que cela résulte d’une stratégie de marketing agressive et efficace ou d’un processus de distribution un peu frileux, c’est toujours avec perplexité et méfiance que je tente de m’y intéresser. Non non, je ne parle pas ici d’un énième New York Times Bestseller qui vient de paraître sur nos tablettes ou du dernier film encensé à Sundance et relatant probablement l’histoire d’une famille aussi dysfonctionnelle qu’attachante, mais bien de l’arrivée sur nos écrans de A Single Man (vf. Un homme au singulier), du designer Tom Ford.

Ce cinéaste nouvellement auto-proclamé est indéniablement un homme d’affaires qui sait faire tourner l’engrenage médiatique à son service. D’abord connu comme directeur artistique chez Gucci et chez YSL (Yves Saint Laurent, NDLR) avant de lancer sa propre ligne éponyme, il a su, à coups de pubs choquantes pour nos chastes yeux et de couvertures médiatiques fort enviables, se faire reconnaître comme génie et magnat du monde de la mode. Bref, Tom Ford serait, selon moi, une version un peu moins puissante mais mieux coiffée de Donald Trump.

Pour un premier film, obtenir trois nominations aux Golden Globes et une pour le Lion d’or à la Mostra de Venise, est un succès assez impressionnant. Serait-il dû en grande partie à la réputation de Ford ? C’est fort possible. Mais il n’en reste pas moins que A Single Man est une oeuvre d’une beauté renversante qui saura vous distraire des tons de gris et des litres de sloche propres au paysage hivernal urbain.

La mode n’en est certainement pas à sa première collaboration avec le septième art. Plusieurs cinéastes célèbres ont réalisé des courts-métrages publicitaires sensationnels pour les grands couturiers (David Lynch avec Gucci, Jean-Pierre Jeunet avec Chanel, pour ne citer que ceux-là) et de nombreux films ont fait leur marque dans la mémoire collective par la contribution de ces mêmes couturiers dans la conception des costumes. Mais qu’un designer prenne lui-même les rênes d’un long-métrage est probablement une première et la rencontre de ces deux mondes crée inévitablement une symbiose aussi étrange qu’agréable dans le film de Ford.

A Single Man, est une adaptation d’un roman de Christopher Isherwood campé dans les années soixante et relatant la journée d’un professeur d’université américain (Colin Firth) qui, après avoir perdu son conjoint dans un accident d’auto quelques mois auparavant, décide qu’il mettra fin à ses jours une fois rentré du bureau. La perspective de la mort lui fera découvrir en quelques heures toute la beauté qui l’entoure et changera lentement sa détermination à méticuleusement mettre fin à ses jours.

L’histoire est simple et touchante et l’interprétation de Colin Firth est juste et sans faille bien qu’un manque de substance affecte les dialogues. Ce qui, toutefois, est renversant, est un souci esthétique poussé à son paroxysme. De la direction artistique à la photographie, en passant tout spécialement par les costumes, tout semble aspirer à faire de chaque seconde une image qui pourrait très bien se retrouver sur la couverture du prochain Vogue. Dans le monde de Tom Ford, c’est à peine si le facteur ne fait pas sa distribution matinale en complet Armani et n’arrondi ses fins de mois en faisant un peu de mannequinat… Le résultat est étrange, la beauté qui frappe le protagoniste ayant des traits presque surréalistes alors que la grande douleur qu’il exprime est, quant à elle, cruellement humaine.

Malgré ces incongruités, force est de conclure que A Single Man mérite toutes les distinctions auxquelles il aspire et le succès de Ford marquera peut-être un triomphe de l’esthétisme dans la façon de concevoir le septième art. Ce triomphe au singulier deviendra-t-il une tendance bien assumée ? Ça reste à voir .


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