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Guerre médiatique entre McGill et la Ministre Courchesne

La ministre réprimande McGill ; l’administration se défend de contrevenir au principe d’accessibilité.

L’administration de McGill et le Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport se répondent par médias interposés depuis que Le Devoir a relancé le débat sur la hausse des frais de scolarité du Master of Business Administration (MBA), jeudi dernier. Le quotidien y a publié des extraits d’une lettre datée du 15 janvier 2010 dans laquelle la Ministre Michelle Courchesne réprimande la chancelière Heather Monroe-Blum d’être allée de l’avant malgré les contreindications du ministère. McGill a rétorqué en lançant une offensive médiatique pour défendre le bien-fondé de sa démarche.

Dialogue de sourds ?

En septembre dernier, McGill avait annoncé qu’elle prévoyait augmenter les frais du MBA de 1 673$ à 29 500$, une hausse de plus de 1 600% en un an. La ministre avait alors rappelé l’administration à l’ordre en précisant qu’elle n’avait pas accordé d’autorisation, et qu’il fallait d’abord « que McGill obtienne ladite autorisation pour aller de l’avant ».

Les parties ne semblent pas s’être entendues sur ce qui est requis « pour aller de l’avant », puisque la ministre a persisté dans sa récente lettre obtenue par Le Devoir que « ce type de programme ou d’activité nécessite, en vertu de règles budgétaires s’appliquant aux universités, que l’établissement qui souhaite l’offrir obtienne l’autorisation du ministère ». Le doyen précise toutefois ne pas comprendre la réaction du ministère puisque les démarches entamées par McGill « sont les mêmes que celles suivies par McGill pour les autres programmes autofinancés ».

McGill : le MBA reste accessible

Dans sa lettre, la ministre Courchesne ajoute que le coût de 29 500$ « contrevient au principe même d’accessibilité ». McGill se défend pourtant de contrevenir à ce principe en haussant drastiquement les frais. En entrevue avec Le Délit, le doyen de la Faculté de gestion Peter Todd affirme que « les préoccupations du ministère envers l’accessibilité sont justifiées », et qu’ainsi, McGill s’engage à « mettre de côté un montant de 4 000$ par étudiant pour l’aide financière, (…) ce qui signifie que 20% des étudiants pourraient suivre le programme gratuitement. »

Les critères d’allocation des bourses ne sont néanmoins pas clairement précisés, et les bourses pourraient être attribuées sur la base du mérite autant que sur celle des besoins financiers. De surcroît, le président de l’Association des étudiantes et étudiants au deuxième et troisième cycles (AÉÉDTC) de McGill, Daniel Simeone, affirme que ce montant correspond à la politique générale de l’université d’allouer 30% des augmentations de frais de scolarité à l’aide financière.

Le coût élevé ne semble pas avoir nui à la popularité du programme puisque McGill a reçu « plus de demandes d’admission cette année que l’an dernier, affirme Peter Todd, et nous avons plus de Québécois qui appliquent au programme cette année. » Le président de la Fédération Étudiante Universitaire du Québec (FEUQ) Jean Grégoire craint toutefois qu’une telle hausse « crée deux classes d’étudiants : le bon MBA pour les riches et le MBA ordinaire pour les gens normaux ». « On a fait le choix au Québec d’avoir des frais bas afin d’assurer une accessibilité, explique- t‑il, mais là, on risque de limiter la mobilité sociale. »

Le danger d’un glissement

Le président de la FEUQ ajoute craindre « que cette arrogance de la part de McGill crée un effet domino ». Les frais de scolarité sont régis par un cadre réglementaire qui n’a pas force de loi, ce qui signifie que les frais peuvent être modifiés par simple décret gouvernemental. « Le ministère n’a tout simplement pas de moyen de faire respecter son décret » soutient Jean Grégoire, d’où la « nécessité d’une loi cadre pour prévenir un déboulement ». En effet, la seule sanction que le ministère puisse imposer est le retrait des subventions de 10 000$ par étudiant inscrit au programme, subventions à laquelle McGill a déjà déclaré vouloir renoncer.

« Du point de vue de l’université, c’est le seul programme que nous considérons en ce moment » précise Peter Todd. « Le MBA a des caractéristiques particulières et une population étudiante différente qui justifie ce modèle d’autofinancement », poursuit-il.

Les étudiants partagés

À l’instar de la FEUQ, dont l’AÉÉDTC est membre, Daniel Simeone a manifesté ouvertement son opposition à la décision de McGill : « nous avons pris position pour le gel des frais de scolarité ; nous sommes donc contre la hausse de frais du MBA ». Le son de cloche est toutefois différent du côté de l’Association des étudiants du MBA (MBASA), qui se déclare favorable à la hausse : « c’est avantageux pour les étudiants car la qualité du programme va s’améliorer et le classement [dans les palmarès] aussi », a déclaré Maxime Brunet, VP aux communications de la MBASA, lorsque la hausse a été annoncée. L’Association a effectué un sondage auprès de ses membres, auquel 71.3% des étudiants ont répondu croire que la hausse était dans le meilleur intérêt du programme.

Il est toutefois difficile d’évaluer l’impact que cette hausse aura sur les candidats potentiels. L’un d’eux a déclaré au Délit, sous couvert de l’anonymat, avoir pensé faire son MBA à McGill avant d’en être dissuadé : « À moins que mon employeur me subventionne, c’est certain maintenant que je ne ferai pas mon MBA à McGill. Même si je prenais des prêts, je finirais par payer de gros montants quand même. »

Malgré les désaccords, tous s’entendent néanmoins pour dénoncer le sous-financement dont souffre le réseau universitaire québécois. Au moment de mettre sous presse, le ministère n’avait toujours pas retourné nos appels. 


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