La persistance avec laquelle l’administration de McGill tente de décupler le coût de son MBA de 1673$ à 29 500$ a galvanisé l’opposition de bon nombre d’acteurs sociaux –et pour cause ! Une telle hausse semble aller à l’encontre de l’accessibilité aux études post-secondaires, une valeur collective qui reste fortement ancrée au Québec malgré une récente tendance à « l’américanisation » de notre modèle universitaire.
L’accessibilité : la clé de voûte de la modernisation du Québec
Si le modèle québécois est parfois décrié pour son manque de compétitivité dans le milieu académique nord-américain, ses détracteurs perdent parfois de vue les raisons historiques qui ont placé l’accessibilité au coeur du projet éducatif québécois. En 1964, la Commission Parent a pris acte du retard considérable du Québec –ne dit-on pas que le niveau d’éducation des Canadiens- Français avant les années 1960 était comparable à celui des Noirs aux États-Unis?– et a établi les bases d’un système d’éducation universel auparavant quasi-inexistant. Conscients de l’importance d’une éducation de masse pour propulser la société québécoise dans la modernité, les commissaires ont placé la démocratisation et l’accessibilité au coeur de leurs recommandations.
Le rattrapage à accomplir était énorme, et il était nécessaire que l’Université aille aux gens plutôt que d’attendre que l’inverse se produise. C’est pourquoi on a choisi de maintenir le coût de l’éducation au minimum afin « que chaque étudiant puisse poursuivre ses études jusqu’au niveau le plus avancé qu’il est capable d’atteindre, compte tenu de ses aptitudes et de ses succès scolaires » (Rapport Parent, volume 4, paragraphe 12).
Deux générations plus tard, le succès de la « révolution Parent » est manifeste : le retard qu’accusait le Québec a été pour ainsi dire rattrapé. Mais cela ne signifie pas pour autant que le maintien de faibles droits de scolarité ne soit plus nécessaire pour assurer l’accessibilité. Selon une étude de l’économiste Valérie Vierstraete commandée par le Ministère de l’éducation en 2006, les étudiants québécois seraient plus sensibles à une hausse du coût de l’éducation que leurs homologues canadiens, et ceci pour deux raisons. D’abord, les étudiants québécois disposent d’un revenu personnel moins élevé, et la génération de leurs parents a moins fréquenté l’université. De plus, selon Statistique Canada, 40% des jeunes qui ne poursuivent pas d’études postsecondaires évoquent la barrière financière comme obstacle principal.
Cette idée –bien présente aux États- Unis et au Canada anglais– de s’endetter massivement pour « investir » dans l’éducation de ses enfants n’est pas ancrée dans la tradition familiale d’ici. À cet égard, la décision de McGill établit un précédent qui fait craindre un glissement vers un modèle inadapté à la réalité sociale québécoise.
L’impasse du sous-financement
L’objectif de cette petite leçon d’histoire n’est pourtant pas de décrier la décision de McGill. Les caractéristiques distinctives du MBA peuvent justifier ce modèle d’autofinancement. D’une part, ceux qui s’inscrivent au MBA ont souvent plusieurs années d’expérience sur le marché du travail et de meilleures ressources financières. Le titre du MBA a également démontré sa valeur par le « retour sur investissement » qu’il génère. D’autre part, un MBA autofinancé permettra d’éviter un transfert d’argent des autres facultés vers ce programme plus coûteux. De plus, McGill affirme qu’une partie des 29 500$ sera attribuée en bourses aux bons candidats –quoiqu’il ne soit pas précisé si elles seront allouées sur les bases du mérite ou des besoins financiers.
Toutefois, la manière dont la décision s’est prise, en opposition aux directives du ministère, laisse présager un glissement indésirable. La position de la principale Heather Monroe-Blum sur le sous-financement des universités est bien connue, et ce geste de défiance publique semble être un moyen pour McGill d’acculer le ministère au pied du mur : si vous ne nous financez pas suffisamment pour maintenir notre place parmi les meilleurs, nous irons chercher les sous ailleurs, même si ce doit être dans les poches des étudiants. Si rien n’est fait et que chacune des parties s’enlise dans sa position, il serait désastreux que le modèle universitaire accessible et démocratique courageusement imaginé par la Commission Parent finisse par partir à vau‑l’eau. Pour cette raison, et pour bien d’autres encore, la tenue d’États généraux sur l’avenir de l’université est nécessaire.