Puisque j’en ai marre des horoscopes bidons qui nous polluent tous les jours l’envie d’aimer, des fausses représentations vicieuses de l’amour-pouremporter dans les téléréalités, et des techniques de drague du voisin d’à côté (célibataire depuis quinze ans), je vous propose l’incontournable lecture d’Ovide qui, selon moi, est loin d’avoir perdu tous ses charmes. Alors qu’on s’émoustille pour les Métamorphoses, on ne semble pas faire grand cas du raffinement et de l’élégance de L’Art d’aimer. Ovide n’est pas dupe ; l’amour ne s’apprend pas. Sur un ton plein de discernement et d’humilité, il n’envisage pas d’éclaircir la grande question du pourquoi, mais bien d’enseigner celle du comment, celle qui nous intéresse davantage. Ovide n’aspire pas aux sentiments, mais à la démarche qui mène vers ceux-ci, à savoir cette avenue potentiellement piégée et tant redoutée qu’est la séduction.
Ce qui fait l’attrait et la finesse de cet art de séduire ovidien, c’est qu’il échappe aux formules figées et d’autant plus ringardes– du « qu’est-ce que tu manges pour avoir des beaux yeux d’même », au rouge à lèvre plus violent que carmin, à ces soirées trop arrosées de maladresse en bouteille. Je n’irais pas jusqu’à dire que nous subissons la lourde perte du caractère sacré de la séduction, quoique Ovide le penserait certainement. L’Art d’aimer est divisé en plusieurs petits chapitres. Après un court préambule, le premier chapitre, voire la première leçon, s’intitule « Où chercher ? À Rome même ». Stratégiquement parlant, est-ce plus fructueux au bar minable et désert du coin ou à la buanderie étudiante au sous-sol ? Évaluonsnous les faibles possibilités d’érotisme dans notre cercle rapproché ? Cela se poursuit avec les chapitres « Confiance en soi » puis « Les circonstances favorables » en passant par « La chaleur du vin », pour ne nommer que ceux-là. Une concrète et complète traversée des mécanismes souverains et influents d’un regard étranger tourné vers celui d’un autre. Rien n’y échappe : l’art des lettres et des paroles, la tenue, les compliments, les promesses, les larmes, les baisers, les moyens illusoires de faire durer l’amour, la nécessité de la persévérance. Néanmoins, je dois vous avertir d’une chose avant votre lecture attentive. Sachez que l’écriture d’Ovide vaut son pesant d’or. Lyrique et adroitement nourrie d’images, elle s’aventure et se plaît à prendre la mythologie grecque en exemple. Il ne faut pas tant s’attarder à ces figures mythiques qu’à la manière dont nous parlons d’elles et du sujet qu’elles servent. Toujours est-il que ce supplice obligé pour certains ne sera qu’une bonne éducation gréco-latine si déficiente de nos jours.
Est-ce que L’Art d’aimer sera la solution à tous vos maux ? Certainement pas ! Peut-être seulement un doux retour à de plus saines conceptions amoureuses dénuées de vulgarité et d’inconséquence. Reconsidérez la séduction par la subtilité et la délicatesse de ce traité aux antipodes des goûts du jour. Si, après cette lecture, votre vie sentimentale s’avère encore une catastrophe des plus stérilisantes, vous pourrez toujours vous pencher sur un autre traité d’Ovide tout aussi brillant : Les remèdes à l’amour. Ou pas !