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Ressasser l’héritage

Mon corps deviendra froid, présenté au théâtre de Quat’sous, nous convie à un souper de famille des plus tracassants.

Dix ans après le suicide de leur père hanté par la maladie mentale, Rose (Suzanne Champagne) rassemble ses deux enfants pour partager un repas et déterrer le passé. Son fils, Fernand (Claude Despins), accablé de n’avoir jamais été l’objet de la fierté du défunt, est devenu un adulte brusque, alcoolique et taciturne. Sa fille, Benoîte (Myriam Leblanc), prétend quant à elle avoir réussi à s’échapper de l’univers familial : elle a quitté la maison dès l’adolescence, a changé son prénom pour « Catherine » et est devenue avocate. Elle confie cependant d’emblée que les histoires de famille continuent à l’angoisser, comme si elle avait entrainé à sa suite quelque chose qui persiste à la poursuivre. Rose est dans le déni, désirant à tout prix se remémorer un mari aimant et un père affectueux, mais ses enfants la confrontent à une tout autre réalité. Témoin de ces malheureuses retrouvailles, la femme de Fernand, Sylvie (Brigitte Lafleur), guide le spectateur à travers cette scène dont elle se fait la narratrice et tente de réconforter maladroitement les trois membres d’une famille brisée. Impuissante et troublée, on constate rapidement qu’elle partage aussi depuis longtemps le poids que porte son mari.

Sous couvert de mélodrame, Mon corps deviendra froid est une fable sur le legs guidée par la plume sensible et imagée de la dramaturge Anne-Marie Olivier. Dans une mise en scène de Stéphan Allard, qui s’inscrit à la fois dans la lignée de Michel Tremblay et dans celle d’un registre plus symbolique, la pièce effectue un va et vient sans faille entre un passé marqué par la présence du père et un présent qui sert de pénible support à son évocation. Un décor imposant allie des meubles et accessoires domestiques qui servent un jeu, souvent réaliste, mais en fait aussi une utilisation tout à fait inventive. Le mur à l’arrière de la scène est constitué de diverses portes de four alors qu’au dessus de la table familiale, telle une épée de Damoclès, est suspendu un imposant chandelier fabriqué à partir d’accessoires de cuisine, représentant l’innommable maladie de leur père qui habite toujours les lieux.

Cette maladie n’est d’ailleurs pas définie, vacillant entre le stress post-traumatique causé par une guerre et la bipolarité. Elle tourmente un Roger LaRue dont l’interprétation est absolument enlevante. Fidèle à ce à quoi il a habitué son public, il incarne avec une grande maîtrise les souvenirs que des proches ont gardés de cet homme.

Malgré les thèmes (trop) répandus de la blessure de guerre et de la famille brisée, exploités dans un récit prévisible, le jeu des acteurs et la richesse du texte font de la pièce le requiem touchant d’un bonheur que les personnages ont toujours rêvé d’atteindre. Une dose bien calculée d’humour et une grande complicité avec le public s’y ajoutent cependant, empêchant l’oeuvre de se faire lourde et difficile.

Tous les personnages se retrouvent seuls dans les derniers instants, se questionnant sur ce qu’ils laisseront à leur tour à ceux qu’ils aiment, à ce qu’il restera d’eux quand « leur corps deviendra froid ».

Le Quat’sous nous transporte une fois de plus dans un tableau dépouillé d’artifices qui aborde l’universel dans un angle toujours inventif, jamais monotone.

Mon corps deviendra froid
Où : Théâtre de Quat’sous, 100, avenue des Pins Est
Quand : jusqu’au 27 février
Combien : 22$ (étudiant)


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