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La hype machine

Dans la catégorie « Tout le monde en parle jusqu’à temps qu’on passe à la hype suivante », les Jeux Olympiques de Vancouver ont achevé de tasser du coude le séisme en Haïti cette semaine. Les journalistes, blogueurs et twitteurs de tout acabit ont migré en masse vers l’ouest, et tout le monde a son mot à dire sur tout ce qui se passe aux grandes olympiades d’hiver. Quand ce n’est pas le manque de neige ou de langue française, c’est l’allumage semi-raté de la flamme qui fait honte aux Canadiens. Et j’ajouterais que le nouveau faciès de Wayne Gretzky mériterait une attention médiatique particulière à lui seul !

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Outre cette pluie de billets d’humeur, les J.O. de Vancouver sont une démonstration intéressante du renouvellement du « quatrième pilier » de la démocratie qui s’est opéré dans les dernières années. En effet, un événement aussi hypermédiatisé est le théâtre idéal pour les médias alternatifs et les journalistes citoyens qui proposent une couverture des évènements en marge de celle des médias officiels. En tête de liste se trouve la Vancouver Media Coop, qui offre « une couverture populaire et démocratique » privilégiant les enjeux sociaux, environnementaux et politiques qui se cachent derrière l’enthousiasme olympien. Du Downtown Eastside aux terres ancestrales des peuples autochtones, en passant par l’empreinte écologique, les XXIe olympiades sont scrutées à la loupe. Cette contre-voix, qui bénéficie de la « chambre d’écho » qu’est l’Internet, joue un rôle non-négligeable : il permet de canaliser les questionnements d’un nombre croissant de citoyens qui se demandent à quoi sert encore ce grand rendez-vous « sportif ».

En furetant sur ces sites d’information alternatifs, une réflexion de Jessica Yee, une jeune militante féministe d’origine sinomohawk, m’est revenue en tête. Jessica Yee était l’une des trois femmes autochtones –avec Rachel Alouki-Labbé et Janie Jamieson, toutes exceptionnellement courageuses et inspirantes, il faut le dire– réunies par Missing Justice pour un panel sur la violence faite aux femmes autochtones jeudi dernier au Cégep du Vieux Montréal. Lors de la période de questions, Jessica Yee a tendu un miroir aux « activistes qui supportent la cause autochtone ». « Depuis quelques années, c’est devenu cool de s’intéresser aux peuples autochtones », a‑t-elle remarqué. Avec le ton ouvert et nuancé de quelqu’un qui saisit toute la charge positive comme négative que peut porter cet intérêt soudain, elle a invité ces « activistes » à être prudents dans la manière dont ils articulent leur soutien. « Dans les médias alternatifs, dans les groupes militants, il faut faire attention à ce que cet intérêt ne devienne pas une récupération de la réalité autochtone pour se créer un statut dans les cercles alternatifs ». Que faire, donc, si l’on est sensible aux défis auxquels font face les peuples autochtones ? « Chacun a la responsabilité de retourner dans sa propre communauté, et de parler de ces réalités. Sensibilisez vos proches, vos voisins ; élargissez la discussion. »

Avec la « hype alternative » que provoquent les J.O., cette réflexion m’a semblé tomber à point. Dénoncer l’oppression que vivent les peuples autochtones est sans contredit une cause juste. Mais quand on parle de centaines d’années de colonialisme, de déshumanisation, d’enfermement dans des réserves, d’assimilation forcée, avec tout ce que ça implique en termes de répercussions en suicides, alcoolisme, ruptures sociales, perte de repères et tant d’autres… alors une bonne dose d’humilité est requise. L’idée ici n’est pas de pointer du doigt le mouvement anti-olympique ou quelqu’autre groupe militant qui ne « vit » pas l’oppression qu’il dénonce, bien au contraire. Mais simplement de rappeler que dénoncer les structures de pouvoir implique une responsabilité particulière de réflexivité sur nos propres actions et nos propres relations de pouvoir.


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