C’était bien mieux dans notre temps !
L’évolution de l’implication volontaire dans l’histoire de la communauté jeunesse reflète tous les bouleversements connus par la société des années 1960 à nos jours. Au cours de cette période, la jeunesse s’est levée et s’est mobilisée pour l’identité nationale, la souveraineté et la défense de la langue française, prenant une part active dans les changements qui allaient venir.
Le contexte sociopolitique le permettant –poids générationnel inégalé, mouvement global de décolonisation, éclatement des carcans moraux, expansion de l’Étatprovidence, etc.– les jeunes s’engageaient dans des manifestations comme on écrit maintenant sur des blogues : c’était une activité quotidienne qui avait son poids et ses impacts à différentes échelles. La culture hippie et tous les phénomènes de contreculture rendaient plus voyante la contestation sociale de l’époque. En 1968, le festival rock de Woodstock a d’ailleurs été l’apogée de la remise en question du système et des institutions politiques. « Lors de la Révolution tranquille, l’État intervenait d’une manière positive dans la société, tous les espoirs reposaient sur la politique pour transformer et améliorer le monde », rappelle Jacques Hamel, professeur titulaire au département de sociologie de l’Université de Montréal. Pour en faire foi, l’adoption de la loi 101 ou la nationalisation d’Hydro-Québec ont de beaucoup transformé l’identité québécoise et changé la perception que les Québécois avaient de leur potentiel.
Les facteurs du changement
La vision de la politique a beaucoup changé depuis la Révolution tranquille. Le Québec a vu passer la crise d’Octobre, trois référendums, la victoire des Conservateurs… À l’heure actuelle, suite aux multiples scandales éthiques, sans parler de l’absence de figures charismatiques à la tête des partis, même les plus grands efforts pour redorer le blason de la politique ne sauraient lui redonner la confiance du citoyen. Pour preuve, en 1960 et en 1970, le taux de participation aux élections québécoises a été respectivement de 82% et 84%. En comparaison, le mince 54,3% des dernières élections fait pâle figure… « À qui [les jeunes] peuvent-ils donner leur confiance ? Les chefs des partis représentent peu ou pas du tout les valeurs de la jeunesse. On a juste à penser à Mario Dumont, l’ex-chef du parti de l’action démocratique du Québec qui est jeune, mais absolument conservateur, pour comprendre que les jeunes sont bien mal représentés au Parlement », ajoute le sociologue.
Les valeurs de la société sont aussi passées d’un esprit communautaire très fort à des intérêts de plus en plus individualistes. L’engagement est devenu beaucoup plus personnel, on préfère faire sa part individuellement plutôt que de grimper aux barricades avec des milliers d’autres jeunes. En effet, la vision et les motivations ont changé : « Les jeunes veulent montrer qu’eux, personnellement, s’engagent », observe Jacques Hamel. « Ils ne veulent plus être anonymes dans un groupe de manifestants. C’est ce qui fait qu’on a l’impression qu’ils s’impliquent moins puisqu’ils ne descendent pas nécessairement dans la rue pour montrer leur volonté de changer les choses », analyse celui qui suit la trace des jeunes depuis quinze ans.
Jacques Hamel poursuit sur la même lancée : « Le fait que l’implication soit un critère requis pour l’obtention d’un emploi, d’une admission aux études supérieures ou d’une demande de bourse, par exemple, explique l’importance que les jeunes accordent à leur implication. La société de performance dans laquelle ils baignent les oblige à tout afficher. À l’époque, ça avait moins d’importance de faire connaître son engagement. L’individualisme de maintenant fait que c’est important de se définir par ses implications ».
Geneviève Bois incarne cette nouvelle orientation. Elle s’implique au niveau communautaire dans le projet Sexpert et au niveau international lors de l’organisation de congrès pour les étudiants en médecine. Vice-présidente aux affaires internes et coordonnatrice nationale du Comité de santé mondiale IFMSA-Québec, étudiante de deuxième année au doctorat en médecine et présidente de la 61e législature du Parlement Jeunesse du Québec à 21 ans, l’implication de Geneviève Bois dépend beaucoup de ses moyens financiers : « On devient des PME [petites-moyennes entreprises]! Je pourrais être plus productive, mais on n’est ni supporté, ni subventionné pour notre implication. […] Par exemple, je dois débourser pour mes billets d’avion lorsque j’assiste à des conférences internationales essentielles aux postes que j’occupe. » Elle soulève ainsi un paradoxe : « depuis la disparition des Bourses du millénaire, il n’existe plus de bourses pour l’implication, un type de récompenses qui génère pourtant l’engagement ». L’implication reste donc centrale dans les valeurs de la société québécoise moderne, mais la collectivité ne facilite pas nécessairement la tâche aux intéressés.
Nouveaux atouts, nouvelle force
La jeunesse d’aujourd’hui, étiquetée « génération du numérique », se doit d’exploiter d’une main de maître les nouvelles technologies. « Les jeunes ont une position avantageuse : dans cette société du savoir, ils mènent le bal. C’est eux qui éduquent leurs parents » affirme Monsieur Hamel. La principale force des jeunes de maintenant provient de leur habileté à user et à abuser des différentes sources d’information ; le pouvoir des communications est entre leurs mains.
Avec de tels outils, les jeunes saurontils prendre leur place dans la société de demain ? Jacques Hamel en est certain : « Le vide démographique créé par les Baby-boomers va nécessairement ouvrir des postes clés, des postes de pouvoir et les jeunes vont prendre la relève. Ce qui demeure intéressant de se demander c’est s’ils vont créer un nouveau pouvoir ? » La jeune leader Geneviève Bois répond également avec assurance : « Tous les jeunes ont voyagé et même ceux qui ne l’ont pas fait ont une conception du monde différente de celle de leur parents. […] En fait, soit on va redéfinir les anciennes structures, soit on va en créer des nouvelles, mais ça serait surprenant qu’on ne brasse pas la cabane ! »
Le Conseil jeunesse de Montréal
Les jeunes sont dynamiques, oui, mais encore faut-il qu’on leur donne la place pour s’exprimer. C’est pour cette raison que le 23 septembre 2002, l’administration du maire Tremblay créait le Conseil jeunesse de Montréal (CjM). Sa mission ? Donner une voix aux jeunes montréalais et montréalaises de 12 à 30 ans en les conviant à donner leur opinion sur les sujets qui les concernent directement. En conseillant le maire et le comité exécutif, et en assurant la prise en compte des préoccupations jeunesses dans les décisions de l’administration municipale, les quinze représentants siégeant à ce conseil ont la volonté d’améliorer les conditions de vie de leurs communautés. « Ce n’est pas tout ce qui est proposé qui provoque changements, mais s’il n’y avait pas de résultats, on arrêterait tout », assure Claudia Lacroix Perron, présidente du conseil. Et l’immobilisme n’est visiblement pas affaire courante puisque Claudia énumère de nombreux cas dans lesquels la voix des jeunes a été entendue.
En 2007 et 2008, à la suite d’une demande des représentants politiques de la Ville de Montréal, le CjM s’est intéressé à la place occupée par les graffitis dans le décor urbain. En élaborant un dossier complet sur les graffitis –l’évolution du phénomène, les différentes sortes et leurs caractéristiques, etc.– ainsi que sur l’accueil qui leur est réservé par les jeunes, les représentants jeunesse ont pu proposer des pistes d’intervention pour une meilleure intégration de l’art dans les rues. « Nous avons atteint un des objectifs qu’on s’était fixé, soit changer le point de vue des élus qui mettaient tout dans le même panier. Après avoir lu notre dossier, ils étaient prêts à accepter des projets », souligne la présidente. D’ailleurs, les fresques peintes sur les bâtiments près du métro Saint-Laurent résultent de cette consultation. Les Bixi et les téléphones rouges à la sortie de certains métros sont aussi des propositions de l’équipe du CjM.
Claudia assure que les idées du CjM sont prises très au sérieux : « Notre fraîcheur d’esprit favorise la formulation d’idées innovatrices et notre dynamisme réveille les élus ». Ainsi, les jeunes ont définitivement un pouvoir dans la politique municipale. Ils ont leur place et, tant qu’ils le voudront, ils pourront influencer les décisions. « En adhérant à des causes particulières à leurs intérêts, comme la politique municipale, les jeunes ont plus de force, car ils s’assurent de garder leur enthousiasme ! », ajoute la présidente.
Le souffle de la jeunesse haïtienne
La jeunesse a une telle force, une telle énergie, qu’elle réussit à se faire entendre même dans un pays comme Haïti où l’histoire politique, animée par des scissions et des coups d’États, affecte durement les conditions de vie de la communauté. Près de 80% des habitants vivent sous le seuil de la pauvreté, faisant d’Haïti une des nations au plus faible indice de développement humain.
Le poids démographique de la jeunesse haïtienne est particulièrement impressionnant. Plus de 50% de la population a moins de vingt ans. Il existe donc un potentiel d’action important. D’après Alexandre Telfort, président du Parlement Jeunesse d’Haïti (PJH), une simulation parlementaire annuelle organisée par et pour des jeunes inspirée du Parlement Jeunesse du Québec, tous ne réalisent pas le potentiel de cette force. Le travail qui lui incombe revient à populariser le PJH afin de mobiliser le plus de talents et d’intérêts possibles. « Éventuellement, la jeunesse haïtienne devrait voir une croissance dans sa confiance et réaliser qu’elle détient le gros bout du bâton, qu’elle peut effectivement faire changer les choses par l’entremise des simulations de l’ordre de celles que nous avons connu deux fois avec le PJH. » L’importance des simulations est évidente, car dès la deuxième législature, du 21 au 25 août derniers, un projet de loi adopté par le Parlement Jeunesse lors de la simulation a été considéré et finalement adopté par le pouvoir en place.
Comment cette jeunesse est-elle reçue par les ministres, les députés, les sénateurs de la vieille génération ? En fait, selon les propos du président Telfort, « les autorités en place voient très mal la vague montante de jeunes possédant le pouvoir. Ils considèrent les jeunes comme leurs rivaux. » Malgré sa désillusion sur les autorités, Alexandre Telfort croit fermement en la capacité des jeunes à prendre leur avenir en main, à créer leur propre futur. Il souhaite construire une nouvelle génération non pas de politiciens, mais de volontaires. « Le volontarisme politique sera le souffle nouveau dont a grandement besoin la démocratie haïtienne », assure-t-il. Nouveau pouvoir, dynamisme engagé, leadership vibrant… Le monde croit en la jeunesse, la jeunesse croit en le monde. L’avenir appartient à ceux qui osent prendre la vie à bras le corps et les jeunes savent le faire : ils ont entre leurs mains des outils comme la technologie de la communication pour les aider, ils ont une ouverture sur le monde que n’avaient pas leurs parents et, s’ils désertent la politique, ce n’est que pour mieux s’engager dans leur communauté ou sur la scène internationale. N’est-ce pas inspirant ? Ne reste qu’à retrousser vos manches !