Le niqab strikes back?… En Égypte même, où il est interdit dans les écoles, on en traite comme d’une simple question de sécurité publique. Au Québec pourtant, le cadrage médiatique opéré sur le port du niqab élève sa signification au rang de symbole de l’obscurantisme, et par conséquence traite le dossier comme un chapitre de plus dans la lutte de notre peuple pour achever la grande oeuvre de la Révolution tranquille. En dénonçant ce vêtement de la culture musulmane comme signe de la dégradation des femmes, les médias d’ici se veulent le porte-étendard des « valeurs québécoises », et le signe certain des lumières de notre esprit, opposé à l’ombre faite sur les visages de femmes étrangères.
Et si, tapie derrière notre fière promulgation de l’égalité entre hommes et femmes, laquelle est entonnée à répétition à chaque fois que la coutume étrangère nous en offre l’opportunité, se cachait une insécurité profonde quant à nos valeurs et notre pouvoir de les affirmer ? Craignons-nous l’étranger ? Si oui, à quel titre ?
Le discours actuel met de côté les aspects pratiques de la question du voile intégral, et la reporte vers une dénonciation à tous vents de l’obscurantisme attribué à celles dont la culture, la vision du monde et la sensibilité esthétique les portent à croire que la modestie peut aller jusqu’à vouloir se couvrir le visage. On ne parle pas d’utilité publique, bien que le besoin de voir le visage d’individus dans certaines situations en relève, lors d’un vote par exemple. Car ce à quoi nous faisons face lorsque nous sommes confrontés au niqab, c’est une vision du monde autre que la nôtre, qui n’associe pas nécessairement voilement et dégradation.
Nous avons une tendance marquée à nous décerner le titre de gens civilisés, de justes et de raisonnables. Et par implication, nous réservons, à demi-mot, à ces étrangers qui ne partagent pas nos coutumes, l’épithète de « barbares ». N’est-il pas barbare de brimer le droit des femmes ? Sans doute, mais pourquoi sommes-nous si prompts à faire l’équation entre voile et oppression ? Il est reconnu que dans la majorité des cas, le port du niqab relève d’un choix personnel, tout comme celui du g‑string porté au-dessus du jeans. Ce sous-vêtement moderne est singulièrement analogue au niqab : réservé aux femmes, il constitue une référence à leur sexualité et a le pouvoir d’attirer notre attention sur le corps féminin au point où la personne qui le porte en est momentanément oubliée.
Ce qui est véritablement à l’oeuvre dans la dénonciation québécoise des vêtements féminins à connotation religieuse, ce n’est pas seulement, comme on voudrait le croire, un bon esprit laïc et universel. Il s’y agite une vision du monde qui nous appartient et qui possède son propre système de référents, sa propre esthétique et sa propre cosmogonie, au même titre qu’une culture « authentiquement » religieuse.
La burqa et le niqab, parce qu’ils empêchent l’identification des personnes, doit être proscrit par la loi dans des lieux tels que des édifices gouvernementaux et des écoles, et peut-être même dans la rue. Mais a‑t-on besoin pour légiférer d’émettre en surplus un jugement moral sur ce que La Presse insiste pour appeler un « bout de tissu » ? Cette qualification du niqab révèle les contradictions de notre discours. D’un côté, nous l’appelons « bout de tissu », comme pour démentir l’importance que peuvent lui accorder les musulmans, et de l’autre, nous le jugeons comme une atteinte à notre religion. L’égalité des hommes et des femmes m’est chère. Mais, dès lors que le port d’un signe distinctif de la féminité relève du choix personnel, cette égalité n’est-elle pas préservée ? Confondons-nous égalité et uniformité ? Une femme voulant être modeste –selon ses propres référents culturels– est-elle nécessairement soumise ?