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Laïcité raisonnable

Après sa parution, les recommandations du rapport Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables n’ont pas été adoptées par le gouvernement en place. Comme le dit lui-même Gérard Bouchard, certains ont cru que leurs auteurs aussi avaient été enterrés.

Ceux qui ont cru à cette fable n’étaient pas présents pour le cours magistral sur l’interculturalisme donné par Gérard Bouchard mercredi dernier, à la faculté de droit de McGill. Comme en témoignent les médias, le mois de février 2010 marque le retour des frères Bouchard dans l’arène publique. À l’instar de son frère, Gérard prépare une croisade : l’organisation d’un symposium sur l’interculturalisme parrainé par le gouvernement du Québec et le Conseil de l’Europe. Selon lui, même la France est prête à entamer des discussions pour renouveler le modèle de gestion de la diversité et de l’intégration des immigrants. Parce que « la neutralité culturelle au sein des États démocratique n’existe pas », l’interculturalisme propose, selon lui, une solution à la dualité de la société québécoise –clivage entre la majorité francophone et les diverses minorités issues de l’immigration– solution qui « se traduit très concrètement dans la pratique des accommodements ».

Le sociologue et historien a réfuté les critiques en démontrant que son modèle sociétal ne s’apparentait d’aucune façon à celui du « multiculturalisme trudeauesque » qui donne la chair de poule au Québec. Pour lui, la vague d’inquiétude qui a suivi la sortie du rapport Bouchard- Taylor était infondée : « le pluralisme ne nous oblige pas à considérer la culture québécoise comme une page blanche ! », faisant ainsi abstraction de son histoire. Cependant, on ne sait pas trop par quel moyen l’identité majoritaire doit « accommoder » les minorités.

L’inconfort du Parti Québécois et de beaucoup de citoyens, même non-souverainistes, face au pluralisme et plus particulièrement aux accommodements religieux, est ancré dans le contexte sous-jacent de la laïcisation de la société québécoise et de la montée de l’intégrisme religieux.

Pour Djemila Benhabib, auteur de Ma vie à contre Coran, les pratiques d’accommodements religieux mettent sérieusement en péril la laïcité et l’égalité des sexes. Selon elle, le rapport très médiatisé a pour effet de transférer « le fardeau de l’intégration uniquement sur la majorité francophone » qui se sent redevable à cause de ses politiques d’immigration « discriminatoires » passées. Pour Mme Benhabib, l’attitude de l’administration du Cégep Saint-Laurent à l’égard de Naïma, la jeune femme qui a insisté pour porter le niqab, est représensatatif de cette pathologie : « l’établissement s’est senti obligé de se mettre à genoux » avant de finalement changer de voie, et d’exclure la jeune femme.

La question se pose encore avec acuité : qui ou quelle institution décidera de la limite du raisonnable, si le modèle interculturel est adopté ? Le problème, pour Mme Benhabib, est que cette action elle-même, implique « le remplacement du référentiel citoyen par le référentiel religieux ». Nous n’avons pas, en tant que citoyens, politiciens ou juristes, à « être les exégètes du Coran » ! Dans les mêmes mots que Gérard Bouchard, elle affirme que le Québec n’est pas une page blanche et qu’une partie inhérente de notre mémoire collective depuis la Révolution tranquille est bien cette « répulsion de l’instrumentalisme religieux, qui est une blessure toujours vive ».

Républicaine dans l’âme, Mme Benhabib croit fermement que « ce n’est pas en déresponsabilisant les gens qu’on les intègre ». Le minimum étant le respect de la laïcité et de l’égalité des sexes, « il est important d’intégrer les immigrants au même niveau, de les soumettre aux mêmes droits et obligations ».

Le fait est que les modèles d’intégration européens tel que le républicanisme d’assimilation en France et le laissez-faire multiculturel au Royaume-Uni font face à de nombreuses difficultés et sont en pleine mutation. Au Québec, plusieurs processus d’accommodements sont en cours, ce qui a provoqué une vague d’émotions ressentie autant dans la sphère publique que privée. Que le modèle interculturaliste soit valide ou pas, une chose est sûre, le débat autour de la laïcité de l’État est inévitable.


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