Trois histoires s’entrelacent dans la libre adaptation cinématographique du premier roman de Muriel Barbery, L’Élégance du hérisson. À travers le filtre narratif de Paloma (Garance Le Guillermic), suicidaire précoce de onze ans, le monde des adultes est présenté comme « un bocal à poissons rouges » où l’on s’enferme soi-même dans un emploi et des préoccupations absurdes, sans espoir de sortie. Seule issue possible : agir en hérisson. Et c’est précisément ce que fait madame Michel (Josiane Balasko), la concierge. Présentant un dos hérissé de piquants au reste de la société, elle choisira de s’enfermer à double tour dans un rôle minable et stéréotypé, se rendant invisible pour qu’on ne perce pas son masque d’ignorance ; en un mot, pour « avoir la paix ». Mais la culture finira par la rattraper sous la forme d’un milliardaire japonais (Togo Igawa), nouveau propriétaire de l’immeuble, qui lui tend fantastiquement la main comme à une amie, contrairement aux autres locataires, lesquels la considèrent plutôt comme un objet de décoration de mauvais goût.
Ces trois personnages, confrontés les uns aux autres, effectuent un effort de rapprochement louable qui semble délivrer un message positif : apprenez à lire en dessous des apparences, puisque la vie n’est absurde que si nous n’avons personne avec qui partager nos réflexions. Le projet désespéré de la petite Paloma traduit bien cet espoir, nous révélant une fillette incapable de confier son angoisse à une famille dysfonctionnelle, embourbée dans l’individualisme inhérent à sa classe sociale.
Du livre au film, la narratrice qui ne livrait ses pensées qu’à son journal intime les partage à présent avec la vieille caméra de son père, de laquelle elle ne se sépare jamais. Procédé assez réussi qui nous permet d’observer les contradictions de son univers familial à travers l’objectif, semble-t-il, de son propre cerveau, lequel produit des haïkus par douzaines.
Le film se présente moins comme un cri de ralliement des âmes et intelligences supérieures que comme un manifeste cynique à l’égard de la culture, laquelle ne permet ni d’échapper au bocal à poissons, ni de se réfugier dans une tour d’ivoire hérissée de pics où l’on pourrait savourer Anna Karénine en silence et appeler son chat Léon, en hommage à Tolstoï.
En effet, lorsqu’une fillette de onze ans « trop perspicace » forme le projet de se suicider pour échapper au triste sort d’être née virtuellement riche dans une famille bourgeoise, et que l’intelligence est présentée, à peu de choses près, comme un fardeau qu’on ne peut supporter qu’en dissimulant sa véritable nature sous une apparence farouche et stupide, nous pouvons raisonnablement soulever l’éternelle question : « Mais où va le monde ? » Déroutant est le constat posé par cette oeuvre où transparaît l’inutilité crasse (bien que charmante) d’un héritage culturel de plus en plus aliénant, dans un monde tristement superficiel et matérialiste. Le film, cependant, ne doit pas non plus être interprété comme une invitation à agir en hérisson, mais plutôt à surmonter le fossé qui sépare le bocal à poisson rouge du refuge confortable d’où l’on observe, de loin, la comédie humaine.