Il y a plus d’un an maintenant que le Journal de Montréal a « lock-outé » ses employés. Ces journalistes ont pu continuer leur travail, paradoxalement, en montant un site internet, Rue Frontenac. Depuis la crise économique de 2008, beaucoup de journaux ont vu leurs revenus s’écrouler, à cause de la désertion des annonceurs publicitaires, mais aussi à cause des nouveaux médias et des « journalistes en pyjamas » sur internet. La question est sur toutes les lèvres : des médias traditionnels, de la presse écrite ou du journalisme indépendant, qui est en crise ?
Afin d’en débattre, Le Devoir et Media@McGill ont rassemblé vendredi dernier, lors du colloque Le journal indépendant : vue de l’esprit ou phare de la démocratie, un parterre de journalistes, d’économistes et de rédacteurs en chefs.
La guerre est finie
Pour Persephone Miel, conseillère senior pour l’ONG Internews, « la question qui se pose n’est pas celle de la survie de la presse écrite mais plutôt de savoir qui va produire du journalisme professionnel, d’investigation, ou d’analyse. » La guerre des médias n’est plus d’actualité : « blogueurs contre journalistes c’est fini ! », commentait-elle.
Toutefois, le journalisme indépendant semble lui aussi être en mauvaise santé. La reporter et auteure de renom, Anne Nivat, raconte qu’elle n’a pas attendu l’indépendance des journaux pour elle-même voler de ses propres ailes : elle couvre les conflits en solo. Pour Mme Nivat, le vrai problème est celui de « la proximité entre les journalistes et les acteurs de pouvoir ». Maintes fois, le Quai d’Orsay, ministère des affaires étrangères français, a essayé de l’empêcher de faire son métier sur le terrain, sous prétexte du danger que ces guerres représentent pour les journalistes. Là où les États réussissent à mettre les journalistes en laisse, on observe que « l’information a presque abouti à de la désinformation ou pire à de la communication », la reporter faisant ici référence à l’information souvent unilatérale produite par des journalistes embarqués avec les forces armées du pays pour lequel ils couvrent les conflits. Sans être question de parti pris, « la subjectivité et la créativité font partie de la valeur ajoutée du journal et donnent matière à réfléchir au lecteur ».
Une crise du quatrième pouvoir ?
La crise des médias traditionnels ne se traduit pas par l’absence mais par l’abondance de sources d’information, qui ne possèdent pas nécessairement la valeur ajoutée du journal classique : sa hiérarchie et sa corroboration des sources. Pour Florian Sauvageau, directeur du Centre d’études sur les médias de l’université Laval, « la priorité pour l’État n’est pas de subventionner les journaux mais de sensibiliser le public à l’importance de l’information. C’est paternaliste de dire au lecteur quoi lire, il faut qu’il puisse se forger une opinion luimême » et cette sensibilisation de l’État, par l’éducation, lui donnera les outils nécessaires.
En partie à cause de son modèle de financement dépendant de la publicité, « la presse écrite ne sera bientôt plus un média de masse », note le directeur du Journal of Media Business Studies, Robert G. Picard. En effet beaucoup de journaux régionaux et locaux disparaissent pour cause de faillite. Comme le suggère Mme Miel, ceci pose problème pour la démocratie. « Les gens ne votent pas dans des communautés virtuelles, ils votent dans des districts électoraux, définis géographiquement », d’où l’importance des médias locaux qui couvrent les hauts et les bas des conseils municipaux.
L’exemple du journalisme participatif
À McGill, la Société des Publications du Daily (SPD), « est à moitié financée par les étudiants et l’autre moitié par la publicité et n’est pas sous l’emprise des grands groupes de médias. De plus les éditeurs ne sont à aucun niveau restreints dans le contenu publié », explique son directeur général, Boris Shedov. Bien que les deux journaux étudiants qu’elle publie se soient modernisés en 2004 en conquérant la plateforme virtuelle et les réseaux sociaux, « Le Délit et The McGill Daily, tout comme les journaux étudiants universitaires, restent un exemple de journalisme critique et participatif, qui dépendent principalement de leurs lecteurs qui recherchent un contenu éditorial différent », conclut M. Shedov.