La transparence en matière de recherche sera-t-elle maintenant chose du passé à McGill ? Selon la nouvelle politique de recherche adoptée par le sénat mercredi dernier, les professeurs effectuant des recherches subventionnées par l’armée n’ont plus l’obligation de rendre public leur projet de recherche, ni de le soumettre à une évaluation des répercussions néfastes qu’elle pourrait engendrer sur la vie humaine. Certes, la politique qui était en place à McGill depuis plus de vingt ans a été systématiquement violée par l’administration qui l’a mise en place, malgré les nombreuses dénonciations des étudiants. Les professeurs du département de génie mécanique vont donc poursuivre à l’abri des regards leurs travaux sur le développement d’explosifs thermobariques –bombes qui absorbent l’oxygène des espaces clos– pour le compte de l’armée américaine.
Financer la recherche à tout prix ?
Étant donné son refus d’amender la nouvelle politique de recherche, il semble que l’administration McGill perçoive comme lourde la considération pour l’éthique et la transparence de la recherche universitaire. La quête de financement à la recherche auprès de sources externes au milieu de l’éducation et bel et bien devenue une priorité, au détriment de la volonté exprimée par les étudiants et professeurs de lever le voile sur les répercussions sociales de l’application de ces recherches.
La principale Heather Munroe-Blum se défend de partager cette vision. Elle évoque la lourdeur administrative comme justification de l’absence de considération éthique concernant la recherche : « Nous avons tellement de protocoles gouvernant la recherche à effectuer, que nous nous infligerions un fardeau supplémentaire si nous révisions nos propres propositions de recherche ».
Quant à l’ex-vice-principal à la recherche et aux relations internationales, Denis Thérien (en poste au moment de l’entrevue), il se contente d’affirmer que McGill doit aligner ses politiques de recherche sur celles des autres universités canadiennes membres du réseau G‑13 [NDLR : le regroupement des treize universités canadiennes les plus actives en recherche au Canada]. Tel que dénoncé ardemment par la sénatrice des arts Sarah Woolf, cette prise de position « reviendrait à faire un pas en arrière, ce qui démontrerait le manque de leadership de la part de l’établissement. McGill essaie d’être un pôle de recherche aussi attrayant pour les bailleurs de fonds de la recherche que le sont les autres membres du G‑13, et cela au détriment de notre éthique ».
Jusqu’où doit-on permettre la liberté universitaire ?
Le motif le plus souvent évoqué pour justifier une opposition à l’encadrement éthique de la recherche est celui de la liberté académique. C’est le parti pris que propose Denis Thérien, également vice-président à la recherche du G‑13, à son homologue de l’Université Western qui a fait face, lui aussi, à la pression des étudiants de son propre établissement. M. Thérien affirme que : « la liberté universtaire commande que […] l’on maintienne le droit de nos professeurs de poursuivre la recherche telle qu’ils jugent bon de le faire et que nous nous opposions à toute restriction de ce droit ». Ainsi, l’un des fondements de notre système universitaire veut que les chercheurs soient libres de diriger leurs travaux en toute impunité.
La responsabilité d’un chercheur par rapport à ses propres travaux
La direction de McGill prétend qu’il est impossible de déterminer quelles recherches peuvent avoir des conséquences négatives pour la vie humaine. L’argument du G‑13 reprend cet élément : « Il est souvent extrêmement ardu d’établir un lien de cause à effet entre la recherche militaire et lanuisance de leurs impacts. D’une part, dans le passé, de nombreux projets de recherche non-militaire ont été par la suite adaptés à une utilisation militaire. D’autre part, de nombreux projets de recherche militaire ont apporté des bénéfices considérables à la société. »
Pourtant, l’idée selon laquelle il y aurait une séparation claire entre le développement d’une technologie et son utilisation ne tient pas la route. Tel que démontré par le professeur d’histoire des sciences Robert Proctor dans Value-free Science?, « tout peut être utilisé à bon ou mauvais escient, mais dans le cas de systèmes hautement complexes, les produits sont habituellement conçus pour servir un but précis. Comment peut-on utiliser à bon escient un missile ou une bombe nucléaire ? […] Certes, les fusils ne tuent pas les gens, les gens tuent d’autres gens. Par contre, peut-on être surpris lorsqu’une société qui s’entoure d’armes à feu en fasse l’utilisation ? »
La responsabilité d’agir
Lorsque la finalité est de développer des technologies spécifiques, les chercheurs ne peuvent en aucun cas se départir des conséquences de leurs travaux et doivent en assumer la responsabilité. Lorsqu’une étude universitaire s’effectue au profit de l’armée, soit la seule institution publique qui se spécialise dans l’utilisation de la violence, il est indéniable que ces applications peuvent avoir des impacts sociaux dévastateurs. Il est donc crucial qu’elle fasse l’objet d’un examen approfondi par la communauté universitaire avant d’être autorisée à aller de l’avant. À tout le moins, il est tout à fait irresponsable qu’une université occulte sa responsabilité quant aux répercussions de ses activités de recherche sur la société qui l’entoure.
Lors du vote au sénat la semaine dernière, McGill aurait été en mesure de préserver son rôle de leader du milieu académique canadien en maintenant un minimum de transparence et un souci d’évaluation éthique de ses activités de recherche. L’administration a préféré ignorer le militantisme historique à l’origine de la politique d’encadrement de recherche précédente, d’hausser les épaules et de convenir que l’université doit « aligner ses pratiques sur celles des établissements avec lesquelles elle est en compétition pour l’obtention de financement ».
Le message est clair : le corps militaire et ses contractants producteurs d’armement sont plus que jamais les bienvenus à McGill. La prestigieuse institution confirme qu’elle demeure à leur entière disposition pour développer discrètement, et en échange de gros dollars, les technologies nécessaires à la mise au point de leurs nouveaux outils de guerre toujours plus dévastateurs.
Pour en apprendre davantage sur l’histoire de la recherche militaire à McGill, visitez : www.demilitarizemcgill.wordpress.com