C’est en voyant une fill e dans la vingtaine lire sur un support électronique dans le métro que j’ai compris ce à quoi les librairies si chères à mes yeux feront face : l’extinction. Entre les pandémies de produits Apple (iPod fluos waterproof, iPod Touch je-change-mon-statut-facebookquand- je-veux et iPhone bientôt démontable et rétractable) et les vieilles étagères poussiéreuses de la librairie usagée du coin, il existe un monde. C’est l’affrontement de l’accessibilité rapide et avilissante contre la contemplation des jours heureux, avec tout ce qu’on laisse derrière soi : un héritage qui n’a pas de prix.
On m’a parlé dernièrement de ce nouveau « bijou » de Sony, en vente chez Archambault pour la modique (et regrettable) somme de 200$ (plus taxes, ça va de soi). « Le lecteur de livre numérique de poche SonyMD tactile permet aux lecteurs d’accéder à jusqu’à 350 de leurs livres favoris en tout lieu. » Plutôt efficace. Deux semaines de lecture pour un changement de pile, l’accès à plus de 500 000 titres gratuits sur Google, une encre similaire à celle sur papier, et il peut même être consulté au soleil ! Que demander de mieux?Moi, je veux des pages froissées et décolorées, l’odeur des années qui s’évapore à la lecture, des dédicaces de gens que je ne connais pas mais qui m’émeuvent, des commentaires illisibles dans les marges, des taches de café me rappelant qu’il est si bon de lire en après-midi sur une terrasse ensoleillée… Je suis de ceux qui pensent que le livre a son passé, son histoire, son futur, sa matière propre et unique. Les livres et moi nous communions, nous conversons, nous nous énervons parfois (quand les pages partent au vent, par exemple).
J’entends déjà les avant-gardistes immodérés me rappeler à l’ordre en soulevant tous les bienfaits de cette découverte pour le moins révolutionnaire en termes d’argent, de temps, d’espace et d’environnement. Certes, en utilisant le SonyMD de poche je sauve quelques milliers d’arbres (qui, de toute façon, seront utilisés pour construire leur prochain bungalow), je fais de la place dans mon sous-sol pour ma prochaine télévision plasma cinquante pouces et je m’évite de me retrouver coincée dans le métro à l’heure de pointe avec pour seule munition mon petit livre de poche folio de 200 pages, mais je diminue aussi les ventes d’auteurs déjà paumés.
Ce qui m’indigne le plus dans toute cette histoire, c’est l’appel à la disparition des librairies. Comment concevoir la mort de ces endroits mythiques (et je ne parle pas du Renaud-Bray) au profit d’une visite solitaire sur mon petit écran tactile ? Le silence des rangées oubliées, le vieux plancher qui craque, les regards de ceux qui partagent votre visite, les discussions inusitées, la joie de découvrir ce livre que vous cherchiez comme une folle dans tout Montréal… Je ne me vois surtout pas engager la conversation avec une fille recluse dans un coin sombre du wagon de métro : « Tu lis quoi ? Tu aim…oh pardon ! C’est ma station ! » Pathétique.
Qu’on se le tienne pour dit, tant que les librairies survivront, je mépriserai du regard tout individu portant sur lui de la lecture électronique pour emporter. L’été arrive, le temps des grands airs, des matinées sur le balcon, des après-midis dans les petits cafés, des soirées au bord de l’eau, le livre à la main. L’authentique livre à la main. Il n’y a pas de « ou pas ». L’authentique livre à la main, point final. Bonne lecture !