Une université d’expression anglaise dans une province francophone, le français en minorité invisible dans une faune anglophone et Le Délit, un journal pour renouveler le débat linguistique qui perdure.
Tout a commencé avec les Anglais
Pour plusieurs, l’Université McGill représente le bastion de la culture anglo-saxonne dans la province de Québec. Mais est-ce toujours le cas aujourd’hui ? Le professeur Peter F. McNally, ayant effectué maintes recherches sur l’histoire de l’institution anglophone, s’est penché sur la question. « La Charte Royale proclamée par le Roi George IV en 1821 a établi l’Université McGill en lui conférant un caractère officiellement anglican et anglo-saxon. Cependant, une autre Charte Royale, cette fois-ci notifiée par la Reine Victoria en 1852, a annulé tout lien entre le college et la religion anglicane. Ceci n’a toutefois pas signifié qu’un McGill laïque délaisserait son héritage anglophone ! » Il est étonnant de constater que cette Charte de 1852 a par ailleurs officialisé le statut universitaire de l’Université Laval. Mais le professeur McNally ne se laisse pas impressionné par cette dichotomie temporelle. « Ce ne sont que des actes gouvernementaux. Je crois dans les actes des hommes. Le fait que l’Université Laval ait été reconnue près de trente ans après McGill ne devrait pas nous faire oublier que James McGill a lui-même travaillé très fort pour former un établissement d’éducation supérieure à Montréal. »
La présence de la langue de Molière se fait sentir entre les murs de McGill depuis bien plus longtemps que l’on croit. « Par exemple, Sir Wilfrid Laurier a été diplômé de son école de droit en 1864 ! », précise McNally. Le professeur s’insurge lorsque des mauvaises langues affirment que l’université représente un établissement élitiste anglophone. « D’une part, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’éducation supérieure n’était valorisée que par docteurs et avocats. Cela a pris beaucoup de temps à l’élite bourgeoise et commerçante, francophone et anglophone, pour qu’ils apprécient les bénéfices apportés par l’éducation. Par exemple, en 1861–1862, il y avait aussi peu que 1 083 étudiants universitaires au Canada ! Ce n’était guère mieux en 1901–1902 : il y en avait que 6 500. D’autre part, il est faux d’affirmer que l’Université a bloqué des francophones à fréquenter son établissement. Il n’y a jamais eu de règles structurelles pour poursuivre de tels actes discriminatoires. »
Ainsi, la présence de francophones a été continuelle, mais elle a pris un nouveau sens dans les années 1960. Dans la volée de la Révolution tranquille, les nouveaux diplômés du récent système des cégeps s’inquiétaient du manque d’espace leur étant réservé dans les universités francophones. « Cette situation, mêlée à des débats constitutionnels et linguistiques, au nationalisme et au séparatisme québécois, à la fondation du Parti Québécois, à des groupes terroristes comme le FLQ et à la dominance des anglophones dans le monde des affaires, a nécessairement abouti au mouvement McGill Français. Alors que plusieurs prêchaient la conversion de McGill en établissement francophone, d’autres désiraient sa destruction pure et simple. »
Mais pendant que les manifestations étudiantes prenaient d’assaut les abords du campus, une prise de conscience a eu lieu au sein de l’établissement. En 1968, un premier comité sur les traductions et les problèmes reliés à l’usage des langues est créé et en vient à la conclusion que McGill « devrait demeurer une université anglophone, mais avec une présence francophone forte et fleurissante au milieu des étudiants et du personnel ainsi qu’avec une place pour le français dans ses cours et dans la vie sur le campus. » Un deuxième colloque aura lieu en 1969 quant à l’utilisation du français à McGill. Ce dernier désire rendre l’environnement plus confortable pour les Canadiens français fréquentant l’université, entre autres en recommandant que le personnel et les gestionnaires soient bilingues, que les relations publiques soient conduites dans les deux langues, que les élèves puissent soumettre leurs travaux dans la langue de leur choix et que des cours de français soient disponibles pour professeurs et étudiants. Que ces recommandations aient été respectées et appliquées demeure discutable. Il est cependant indéniable que ces discussions ont eu un impact considérable sur le sort des francophones de McGill.
Le professeur McNally doute tout de même des conclusions des deux comités. « La majorité des étudiants francophones soumettent quand même leurs travaux en anglais. C’est parce que ceux-ci viennent à McGill en faisant le choix conscient de fréquenter une institution anglophone et de vivre une expérience anglophone. »
Une minorité bien effacée
Pourquoi les francophones hésitent-ils tant à côtoyer l’Université McGill ? D’abord, l’élément le plus frappant est certainement la langue, car ne pas avoir une maîtrise excellente de l’anglais peut s’avérer une barrière intimidante. D’un autre côté, fréquenter une institution anglophone pour un québécois « pure laine » demeure un choix controversé : ne s’agit-il pas là d’une véritable trahison identitaire ? Tout de même, l’université est aujourd’hui favorable à l’accueil d’étudiants francophones et la proportion de ceux-ci est passée de 4,8% en 1965–1966 à 17,8% en 2007–2008 (avec un sommet de 23,5% en 1985–1986). Alors pourquoi le français se tient-il caché même s’il est statistiquement présent ?
Ainsi, il semble que les francophones québécois soient en minorité à McGill. Et, demandez à n’importe quel nouvel arrivant étranger, il n’aura pas rencontré beaucoup de ce qui pourrait s’appeler ironiquement la minorité silencieuse. Par exemple, Halina Labikova, une slovaque fraîchement débarquée à Montréal, s’étonnait de ne pas avoir rencontré un seul Québécois francophone après une journée complète à Discover McGill.
Les apparences peuvent laisser croire que les francophones vivent leurs années à McGill de la même manière que les anglophones. Mais vu leur statut minoritaire, voire invisible, peut-être n’est-ce pas le cas. Ainsi, William Burton, un américain francophile étudiant à McGill, voit les francophones comme une communauté à part dans l’université. Pour cause, les francophones qui viennent à McGill sans être parfaitement bilingues veulent soit améliorer leur anglais et/ou s’immerger dans une nouvelle culture. « En fréquentant McGill, les québécois francophones y voient plus d’opportunités académiques que sociales, interprète William, se faire des amis leur importe moins que l’excellence de leurs notes puisqu’ils possèdent déjà un réseau social hors campus. »
De son côté, Julia, une montréalaise dont la première langue est l’anglais et nouvelle étudiante à McGill, voit le français qu’elle parlera sur le campus comme une excellente occasion de pratiquer la langue de Molière : « C’est un plus, une richesse que de parler une deuxième langue…et j’espère avoir l’occasion de le pratiquer même si je ne crois pas que le français ait vraiment sa place sur le campus. »
À la recherche de l’identité perdue
McGill fait-il perdre leur identité aux locuteurs du français ? Boby Chu, ancien étudiant à la maîtrise en génie mécanique à McGill et anglophone au français impeccable, ne voit rien de dramatique au fait que les francophones se fondent dans la masse du campus. En fait, il trouve cela plutôt rassurant pour l’avenir du français : « Il y a deux voies de pensée. La première, on a peur de perdre notre identité lorsqu’elle n’est pas si forte, la deuxième, on en est fier et on n’a pas besoin de la montrer, car elle est solide. » Ainsi, les francophones seraient en minorité invisible à McGill parce qu’ils n’auraient pas peur de perdre leur particularité contrairement aux communautés allophones qui s’affichent clairement dans l’espoir de conserver un peu de leur bagage culturel.
Boby est un enfant de la loi 101 et ne peut que remercier son application. C’est grâce à l’institution de cette loi en 1977 qu’il a dû, comme plusieurs autres enfants issus de l’immigration, fréquenter l’école française. « Pour moi, le français est la clé de la communication afin de sortir des coins de Montréal strictement anglophones comme le West Island ou Westmount. Les francophones n’ont pas à se sentir menacés, puisque le français demeure majoritaire à peu près partout ! » Il trouve d’ailleurs complètement insensé que certaines personnes puissent faire toute leur vie à Montréal sans parler un mot de français.
De surcroît, si les francophones ne veulent pas nécessairement s’afficher, c’est peut-être
uniquement par politesse. Justine est née dans les deux langues et a fait ses années de cégep en anglais. Choisir McGill s’expliquait uniquement par la réputation d’excellence de l’université. « Pour moi, français ou anglais, c’est égal ! En parlant anglais avec tout le monde, on évite ainsi l’exclusion de ceux qui ne parlent pas français. » Pourtant, dans une province dont la langue officielle est le français, ne serait-ce pas plutôt aux anglophones d’apprendre le français afin de s’inclure ? En fait, une telle chose serait possible dans la mesure où des cours de français seraient imposés aux nouveaux mcgillois. « Et pourquoi pas des cours d’histoire du Québec, propose Vicki Maheux, étudiante en éducation à l’Université de Montréal. Quel étranger connaît vraiment les enjeux politiques entourant la question linguistique du Québec ? » Les francophones se sentiraient d’autant plus respectés si l’université embrassait leur cause et incitait les étrangers à découvrir leur culture.
Au contraire, souvent, les étrangers vivent leurs années à McGill sans même se douter de ce à quoi ressemble la culture et les traditions québécoises. Quant au français, ils peuvent très bien se débrouiller sans… Samuel est venu des Etats-Unis pour étudier à McGill dans l’espoir de découvrir la culture québécoise et canadienne. Après son baccalauréat, il déplore toutefois qu’à McGill il n’a que très peu eu l’impression d’être au Québec, à l’opposé de l’Université de Montréal où il a pu goûter aux saveurs locales.
Après toutes ces tergiversations, une question surgit finalement : Le français est-il politique à McGill ? « Pour moi, parler français à Montréal, dans les rues ou les cafés, c’est politique puisque je crois aux enjeux des langues minoritaires », commente William Burton, américain étudiant la traduction. De son côté, Peter McNally, après toutes ces années passées sur le terrain, en est venu à la conclusion que « les francophones apprécient la rhétorique politique davantage que leurs compères anglophones ». Comme quoi, fréquenter McGill n’est peut-être pas un choix politique, mais simplement une occasion de plus de débattre la question linguistique, sujet de prédilection des québécois francophones.